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N° 7
AOUT/SEPTEMBRE  2005
La Douane piégée
L'affaire des zones franches de Savoie monte en cassation.
Nouveau gouvernement Ibarretxe au Pays Basque.
Annecy se "désolympique".
La Ligue savoisienne a dix ans!
L'I.R.A. dépose les armes.
Le bal des rustines.
Lire votre dossier RG, c'est simple (presque) comme un coup de fil!
Jean Dunoyer.
50 ans!
Patriotes parachutistes en Savoie Ducale.
La vie de Joseph de Maistre.
14 juillet en Valais avec les Savoisiens.
Les rapports complexes de la religion et de l'identité.
Courrier des lecteurs.
Désormais vous pouvez m'appeler Renée!
Quoi de neuf à la Ligue savoisienne?
Yann Pegaz: énormes sensations avec le wakeboard!
 
Éditorial
La Douane piégée.
Les démêlés judiciaires de Jean de Pingon avec la Douane française, de 1995 à 1997, avaient popularisé ses thèses sur la caducité du traité d'annexion de 1860 et "lancé" la Ligue savoisienne. Les procès, où les douaniers s'étaient défilés et où intervenaient des policiers faux témoins, s'étaient arrêtés en appel. Mais la Ligue savoisienne continuait son chemin, localement et internationalement. Elle demeure aujourd'hui la seule force de proposition pour la Savoie.
Et voici qu'une affaire imprévue replace au premier plan le combat judiciaire. La Douane française, qui avait pour habitude d'abandonner toute poursuite dès qu'était invoqué le statut de droit international des zones franches, a voulu obtenir des tribunaux la légalisation de ses pratiques arbitraires. Victime des douaniers hors-la-loi, une Genevoise a confié sa défense à un avocat savoisien.
L'affaire de 2005 s'engage ainsi dans des conditions bien différentes de celle de 1995: c'est la Douane qui a porté plainte, sans bien sûr se douter que la Ligue savoisienne, aujourd'hui rejointe par des juristes de haut niveau, serait invitée dans cette procédure!
L'affaire n'est pas gagnée d'avance, car le dossier relève de la Raison d'État. Mais pour la première fois depuis 1932 une Cour de Justice internationale aura probablement à connaître de la Savoie et de la forfaiture commise à l'encontre du peuple savoisien par l'État français.
Les Savoisiens n'imagineront pas qu'un tribunal aurait le pouvoir de leur rendre la liberté de leur pays. Mais la légitimité de leur projet politique va se renforcer de la mise en cause, au plus haut niveau judiciaire, des abus de la puissance annexante.
Patrice Abeille.

 

L'affaire des zones franches de Savoie monte en cassation.
La Cour internationale des Droits de l'Homme pourrait être saisie.
 
En mars dernier Le Savoisien titrait: "La France condamnée par sa propre justice". Le tribunal de police de Saint-Julien en Genevois venait de donner raison à une Helvète poursuivie par la Douane française pour importation non déclarée d'un véhicule en petite zone franche. Jean de Pingon exposait son argumentation classique, celle de la Ligue savoisienne depuis ses débuts: la présence de la Douane française dans la petite zone franche (définie par le traité de Turin de 1816 et confirmée par la Cour Permanente de Justice Internationale en 1932 ainsi que la zone de Saint-Gingolph de 1839) est contraire au droit international, les douaniers français sont donc des hors-la-loi en zone franche.
Cette argumentation avait été développée devant le tribunal de Saint-Julien par l'avocat de la prévenue. Le tribunal de Saint-Julien avait reconnu sa pleine validité en déboutant la Douane française de sa poursuite.
La Douane française, se trouvant dans une situation illégale en zone, fit appel. La Cour d'appel de Chambéry ne tarda pas à voler à son secours: le 21 juillet, la "contrebandière" genevoise était condamnée à une lourde peine (21500 euros!). Elle a alors estimé que ses intérêts ne pourraient être mieux défendus que par un Savoisien, et elle a confié sa défense à Me. Thierry Mudry, avocat au barreau de Marseille, qui a rédigé un mémoire soumis à la Cour de cassation.
Nous avons demandé à Me. Mudry des éclaircissements sur l'arrêt de la Cour d'appel et l'évolution de cette affaire, qui revêt une grande importance pour les Savoisiens et la Savoie toute entière.
 
 
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À la frontière politique franco-suisse, ce panneau rouillé indique "service fiscal", car la douane n'a pas sa place ici. Un vieil autocollant signale le "quinzième centenaire" de la France (496-1996). Il n'a pas été touché par le Savoisien inconnu qui, plus tard, a collé son "Savoie libre". Lequel a été rayé d'un grossier trait noir par un pro-français. On voit ainsi très clairement où se situent l'intolérance et l'abus de droit.
 
Quatre questions à Me. Thierry Mudry.
 
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Me. Thierry Mudry.
Comment la Cour d'appel de Chambéry a-t-elle pu désavouer le juge de Saint-Julien et donner raison aux Douanes françaises?
— Pour l'essentiel, la Cour d'appel a reconnu la validité de l'argumentation concernant l'arrêt du 4 juin 1932 de la Cour Permanente de Justice Internationale. Elle a donc admis que cet arrêt s'impose à la France, et qu'en conséquence les traités de 1815 et 1816 s'appliquent directement en droit interne. Mais elle a réformé le jugement du tribunal de Saint-Julien en Genevois, au motif que la TVA réclamée à ma cliente ne serait pas une taxe douanière et que, pour cette raison, elle ne rentrerait pas dans le cadre des dispositions tant de l'arrêt de 1932 que des traités définissant les zones franches.
 
Avez-vous soumis de nouveaux arguments à la Cour de cassation?
— Dans notre mémoire adressé à la Cour de cassation, nous avons repris les exceptions de nullité déjà soulevées devant le tribunal de police et la Cour d'appel. Sur le fond, nous contestons la décision rendue à Chambéry parce que nous estimons que la TVA exigée par les Douanes au passage d'une frontière, en raison même de l'importation d'une marchandise (ce qui est le cas en l'espèce) constitue bien une taxe douanière.
L'arrêt de la Cour Permanente de Justice Internationale nous donne clairement raison sur ce point. En effet, la Cour affirmait "qu'en principe, une taxe qui est imposée du seul fait de l'importation ou de l'exportation à travers la frontière semble devoir être considérée comme une taxe de nature douanière et, partant, être soumise aux règles y relatives". Il sera, me semble-t-il, difficile à la Cour de cassation d'ignorer cette appréciation de la CPJI.
Nous avons en outre développé que l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry viole plusieurs dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
 
Quels sont les développements prévisibles de ce litige?
— Nous verrons bien si la Cour de cassation accepte ou rejette nos arguments. Si elle les repousse, nous saisirons la Cour européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg.
Il avait déjà été exposé à la Cour d'appel que la procédure engagée à l'encontre de ma cliente violait l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme relatif au procès équitable. J'ai relevé, pour ma part, que la décision de la Cour d'appel de Chambéry a violé l'article 7 de la même Convention. Cet article pose le principe "nulla poena sine lege", "nulle peine sans loi": une juridiction ne peut condamner un justiciable que sur le fondement d'une loi préalable. Ce principe a été formulé par Beccaria au 18e. siècle en réaction contre l'arbitraire de la monarchie absolue, où le roi et les puissants pouvaient faire emprisonner par lettres de cachet tous ceux qui leur déplaisaient, où les cours de justice pouvaient créer à leur gré les incriminations et les peines s'y appliquant pour condamner ceux qu'elles voulaient éliminer. En l'espèce, ma cliente a été condamnée pour avoir commis une infraction qui n'existait pas, puisque les taxes douanières ne peuvent en aucun cas être prélevées dans les zones franches instituées par le protocole de 1815 et par les traités de 1815 et 1816!
 
En quoi la Savoie et les Savoisiens sont-ils concernés par cette affaire?
— L'affaire de la zone franche est directement liée à la question de l'annexion de la Savoie par la France.
Rappelons que, dans le traité d'annexion de 1860, la France s'était engagée à respecter les traités antérieurs qui avaient créé dans le nord de la Savoie une zone neutre (dont les troupes suisses devaient garantir la neutralité en s'y déployant éventuellement en cas de conflit) et une zone franche. Il ne faut pas oublier non plus que nombre d'habitants de cette partie de la Savoie étaient favorables au rattachement de leur région ou de la Savoie entière à la Suisse, et que leur adhésion à l'annexion française a été finalement obtenue grâce à la promesse du maintien de la double zone et de l'extension de la zone franche à toute la Savoie du nord. Lors du plébiscite, les habitants de la Savoie du nord ont d'ailleurs massivement déposé dans les urnes le bulletin "oui et zone" (Il n'y avait pas de bulletins "non", mais c'est là un autre débat).
Or la France a violé les dispositions du traité de 1860 et des traités précédents relatives à la zone neutre, dès 1870. Elle les a de nouveau violées en 1914 et 1939. De ce fait, on ne peut que constater la caducité du traité d'annexion, vidé de son contenu par l'un de ses deux cosignataires.
La France s'est également efforcée de supprimer la zone franche au lendemain de la Grande Guerre, là encore au mépris des traités internationaux. Sur ce point, la Cour Permanente de Justice Internationale l'a rappelée à l'ordre en 1932 (sur la petite zone seulement, car elle n'était pas saisie de la suppression de la grande zone de 1860). Ce qui n'a pas empêché l'administration des Douanes, héritage du passé absolutiste (pas si lointain) de l'État français, de passer outre et de tenter de rétablir la ligne douanière sur la frontière franco-helvétique, comme le montre le présent dossier.
Ce qui est en jeu ici, c'est donc la légalité et la légitimité de l'annexion. Il est évident que celle-ci a débouché sur un déni des droits du peuple savoisien et de tous ceux qui, comme nos amis suisses disposant d'une résidence en zone franche, ont eu le tort d'accorder quelque crédit à la signature de la France apposée au bas d'un traité.
Propos recueillis le 19 août 2005.
 
 
Nouveau gouvernement Ibarretxe au Pays Basque.
 
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Juan José Ibarretxe.
Après les élections autonomiques du 21 avril dernier, le parti nationaliste basque (PNV, démocrate-chrétien) conserve son rôle prépondérant à Gasteiz-Vitoria, siège du parlement et du gouvernement basques au sud de la Bidassoa. Mais il a fallu le "prêt" des votes de deux députés du "parti communiste des terres basques" (EHAK, qui représente les indépendantistes proches d'ETA) pour que Juan José Ibarretxe obtienne, le 23 juin, sa réélection au poste de Lehendakari, chef du gouvernement. L'équipe gouvernementale sortante a été assez peu renouvelée. L'autre candidat, le socialiste Patxi Lopez, a fait le plein des voix du PSOE et du PP, donc gauche et droite espagnolistes se sont une fois de plus unies contre le nationalisme.
Le PNV n'ayant pas obtenu une franche progression dans les urnes, l'avenir du "plan Ibarretxe" de souveraineté basque associée à l'Espagne est sorti du premier plan des objectifs du nouveau gouvernement, mais il n'est pas abandonné. Toutefois la question majeure, dans l'immédiat, est celle de la sortie du terrorisme d'ETA, qui a fait plus de 800 morts en 40 ans de clandestinité. La volonté de dialogue du premier ministre d'Espagne José-Luis Zapatero, face à des annonces de trêves partielles par ETA, a fait naître de grands espoirs.

 
Annecy se "désolympique".
Le 26 juillet, quelques élus de Haute-Savoie, qui venaient d'être reçus à Paris par le ministre de la Jeunesse et des Sports Jean-François Lamour, ont appris que la France ne présenterait pas la candidature d'Annecy pour l'organisation des JO d'hiver en 2014.
Aussitôt la nouvelle répandue, la consternation s'est exprimée de tous côtés. Bernard Bosson, député-maire (UDF) d'Annecy, a exprimé sa déception en termes particulièrement crus...
David Frank, un des animateurs du mouvement des jeunes savoisiens, nous a envoyé la réaction suivante:
"Je tenais à féliciter le comité Olympliquons-nous Annecy 2014 au nom de tous les jeunes savoisiens pour son courage et son état d'esprit exemplaire au cours de cette campagne, qui il est vrai aura représenté le véritable idéal olympique, et à l'assurer de notre entier soutien dans ce moment difficile.
N'est-il pas temps de penser Savoie avant de penser France, plus de poids régional, et plus de pouvoir des élus locaux auraient pu changer la donne, c'est vraiment dommage... Il faut réellement agir pour retrouver un poids décisionnel savoisien dans ce pays centralisé et jacobin, gouverné par des Parisiens sectaires et peu scrupuleux.
Reporter la frustration de l'échec parisien sur une ville aussi merveilleuse qu'Annecy, (défendue par de vrais sportifs, animés par un esprit sain et authentique) et qui méritait autant, si ce n'est plus que Paris, de tenter sa chance, est tout simplement honteux!
Chapeau messieurs et bon courage pour la suite."
David Frank, www.wffis.org
Le commentaire de Patrice Abeille:
Je comprends la colère de David et j'approuve totalement sa conclusion politique ("penser Savoie avant de penser France"). Mais avec mon expérience de rédacteur en chef quinquagénaire je n'ai jamais partagé son enthousiasme olympique, pas même pour ma ville d'Annecy. Mon chauvinisme naturel se tempérait fortement de la perspective de voir déferler à Annecy, outre les encombrements, gâchis mégalomaniaques et acrobaties financières inhérents à tout évènement d'échelle planétaire, un tsunami de bleu-blanc-rouge, Marseillaise et autres "Annecy-France" qui auraient risqué de me dégoûter à jamais d'y habiter...
De mon point de vue donc, tout est bien qui finit bien, et si les tenants de l'aventure olympique sont déçus par la France, qu'ils se tournent vers la Savoie.
P.A.

 

La Ligue savoisienne a dix ans!
C'est au cours de l'année 1995 que la Ligue savoisienne a tenu ses premières conférences publiques et réuni ses premiers adhérents. Son premier Congrès réunit un millier de participants à Albertville le 26 mai 1996. Dès le début, les détracteurs ne manquèrent pas pour annoncer la disparition prochaine de la Ligue et de l'idée même d'émancipation de la Savoie. Pourtant, la Ligue est toujours là et réunit des forces toujours plus qualifiées et plus déterminées. Ne manquez pas le dixième Congrès (ouvert au public):
10e. Congrès de la Ligue savoisienne
5 et 6 novembre 2005
Doussard, Salle communale.
 
 
L'I.R.A. dépose les armes.
par Thierry Mudry.
 
Un évènement très important a été occulté cet été, à cause de l'émotion suscitée par les vagues d'attentats islamistes qui ont touché Londres et l'Égypte.
L'Armée républicaine irlandaise (IRA), branche militaire du parti Sinn Fein, a officiellement déposé les armes le 28 juillet, en rendant public le communiqué suivant: "Tous les volontaires ont reçu pour instruction de contribuer à la mise en oeuvre de programmes purement politiques et démocratiques par des moyens exclusivement pacifiques. Les volontaires ne doivent s'engager dans aucune autre activité que ce soit".
Ce faisant, l'I.R.A. a mis fin à plus de trente-cinq ans de guerre de libération nationale contre l'armée britannique en Irlande du Nord, et d'une guerre civile implacable l'opposant aux milices loyalistes protestantes, au cours desquelles 3600 hommes, femmes et enfants ont perdu la vie et 45000 autres ont été blessés (sur une population totale d'environ un million et demi d'habitants).
Ce double conflit s'est inscrit dans le contexte particulier des six comtés d'Irlande du Nord, que le Traité de Westminster, conclu en 1921 entre les représentants de l'Irlande insurgée et le gouvernement de Londres, avait détachés du reste de l'île pour les laisser sous domination britannique.
Ces six comtés étaient majoritairement peuplés de protestants (presbytériens, anglicans et autres dénominations) attachés au maintien de l'Irlande, ou à défaut de leur région, au sein du Royaume-Uni.
L'importante minorité catholique présente dans les six comtés avait pris parti pour l'indépendance de toute l'Irlande, tant au cours des élections précédentes, où elle avait voté massivement pour le parti nationaliste Sinn Fein, qu'au cours de la guerre anglo-irlandaise de 1919-1921. La population protestante et les autorités en place la considéraient donc comme l'ennemi intérieur qui menaçait leur existence même en Irlande du Nord.
Lors des années 1920 fut instauré un système de suprématie protestante fondé notamment sur le "gerrymandering", un découpage électoral parfaitement arbitraire permettant de garantir une représentation écrasante aux protestants dans les institutions locales. Tous les pouvoirs étaient donc concentrés dans leurs seules mains; pour être plus précis: dans les mains d'une petite partie d'entre eux, tandis que les catholiques subissaient toutes sortes de discriminations, à l'embauche, au logement, etc., destinées à favoriser leur émigration.
Dans le même temps, l'Irlande du Nord était soumise à un régime d'exception dont l'objectif était d'étouffer toute tentative de création d'un mouvement républicain politique et militaire structuré. Cette terreur légale se doublait périodiquement d'une terreur physique exercée à l'encontre des catholiques par des foules protestantes excitées par des meneurs fondamentalistes et encadrées parfois par des unités paramilitaires, telles que les B-specials, auxiliaires de police de sinistre réputation. Régulièrement, les quartiers catholiques furent donc la cible de raids policiers et de pogroms.
Les choses avaient paru se calmer avec la Seconde Guerre mondiale, catholiques et protestants ayant vécu ensemble l'épreuve des bombardements allemands et contribué ensemble à l'effort de guerre allié. Nombre de ressortissants (catholiques) de l'État Libre d'Irlande étaient même venus s'installer dans les six comtés où l'on manquait alors de bras pour l'industrie de guerre.
C'est cette situation pacifiée qui provoqua la naissance dans les années 1960 d'un mouvement en faveur des droits civiques des catholiques d'Irlande du Nord, directement inspiré de celui animé par Martin Luther King en faveur des droits des Noirs américains.
Ce mouvement réclamait la suppression des discriminations dont les catholiques étaient victimes depuis des décennies. Il était soutenu par les républicains, alors marginalisés et réduits à l'impuissance politique et militaire, par la gauche et l'extrême-gauche locales et par les protestants libéraux. Mais il suscita l'hostilité des milieux conservateurs, de la classe ouvrière protestante, qui bénéficiait d'emplois protégés, et des secteurs les plus "antipapistes" de l'opinion loyaliste. Ces derniers réagirent avec la plus extrême violence au mouvement pacifique pour les droits civils.
Les pogroms reprirent ainsi de plus belle. Les émeutiers protestants faisaient irruption dans les quartiers catholiques pour lyncher les catholiques et incendier leurs habitations.
 
Naissance de l'I.R.A. provisoire.
Face à la passivité de l'ancienne I.R.A., bientôt dénommée "I.R.A. officielle", qui, après avoir adopté un discours marxiste, avait abandonné la lutte armée pour se consacrer entièrement à la lutte sociale et au rapprochement des classes ouvrières catholique et protestante, des dissidents de l'organisation constituèrent en 1969 une nouvelle I.R.A., l' "I.R.A. provisoire".
Celle-ci se donna pour objectif militaire premier de défendre les ghettos catholiques contre les violences sectaires, puis, avec le déploiement des troupes britanniques en Irlande du Nord, la priorité fut donnée à la guérilla anti-britannique: il s'agissait d'exercer une pression grandissante sur l'armée d'occupation et de lui infliger des pertes telles que Londres se décide à la retirer des six comtés.
L'I.R.A. provisoire, qui devint bientôt la seule I.R.A., prétendit incarner, contre l'I.R.A. "officielle" qui l'aurait trahie, la véritable tradition républicaine.
Cette tradition, à la fois républicaine et insurrectionnelle, avait été incarnée successivement par la Société des Irlandais-Unis, à l'origine des soulèvements de 1798 et de 1803, la Jeune Irlande, décapitée après une tentative de révolte armée en 1848, la Fraternité révolutionnaire irlandaise, auteur de multiples complots (y compris trois tentatives d'invasion du Canada à partir des États-Unis en 1866, 1870 et 1871) et attentats (déjà!), et la première I.R.A., qui avait mené successivement la rébellion de Pâques 1916, écrasée dans le sang, et la guerre victorieuse de 1919-1921.
Ces groupes s'étaient tous fixé le même but, qu'ils pensèrent pouvoir réaliser par la voie des armes: l'avènement d'une Irlande irlandaise, unie et indépendante.
Il n'est pas inutile de préciser ici ce pour quoi, pendant plusieurs générations, les hommes qui les constituaient ont été prêts à donner leur vie, et l'ont souvent donnée.
 
Une "Irlande irlandaise".
Le peuple irlandais est un peuple celtique.
Jusqu'au 16e. siècle, la majorité de la population de l'île et de ses élites (y compris une bonne part des seigneurs anglo-normands qui avaient envahi le pays et qui avaient été finalement assimilés par les autochtones) était immergée dans la langue gaélique, dans la culture littéraire et musicale gaélique, dans un ordre social et politique gaélique fondé sur les clans, sur une hiérarchie de chefs élus (chefs de clans, chefs de provinces, chef suprême de l'Irlande) et sur les lois coutumières appelées "lois brehons".
L'ordre social et politique gaélique fut démantelé le premier. Il avait dès le Moyen-Âge subi les atteintes du féodalisme anglo-normand introduit dans l'île par les envahisseurs venus d'Angleterre. Mais le roi Henry VIII, en obligeant les chefs irlandais à lui offrir les terres qu'ils tenaient de leurs clans qu'il leur rétrocéda ensuite sous forme de fiefs, substitua définitivement le système seigneurial au système clanique. La propriété des anciens clans devint la propriété personnelle des landlords, les seigneurs fonciers dotés de titres anglais. Comme le socialiste James Connolly le nota avec justesse, les seigneurs catholiques qui furent plus tard expropriés au profil de nouveaux venus protestants étaient à cet égard, autant que leurs successeurs, des usurpateurs.
Le souvenir et la nostalgie de l'ordre ancien devaient survivre dans les organisations clandestines créées par les paysans irlandais aux 18e. et 19e. siècles, pour s'opposer aux exactions des landlords et refuser le versement des redevances seigneuriales et de la dîme à l'Église anglicane qu'ils estimaient injustifié.
Les républicains recueillirent l'héritage de ces organisations: la question agraire, et plus largement la question sociale, ne cessa de les préoccuper. Leur républicanisme renouait avec le principe électif des libres Gaels mais ils souhaitaient également restaurer une manière gaélique d'appropriation et de gestion collectives de la terre et des industries, une manière gaélique de vie et de travail en commun des hommes qui renoueraient avec le passé clanique pas si lointain, les uns penchant pour le développement du système coopératif qu'ils avaient contribué à mettre en place, les autres pour le socialisme.
La culture gaélique disparut ensuite, parce que les élites, qui la portaient jusqu'alors, avaient été remplacées par des élites de culture anglaise. Paradoxalement toutefois, c'est parmi les membres de ces nouvelles élites anglo-irlandaises, qui fournirent d'ailleurs ses cadres au nationalisme irlandais, pré-républicain et républicain, que s'opéra au 19e. siècle, avec Samuel Ferguson, Standish O'Grady, William Butler Yeats (futur prix Nobel de littérature), Lady Gregory, George Russel et bien d'autres, le renouveau de la culture gaélique. C'est au fils de pasteur anglican Douglas Hyde, fondateur de la Ligue gaélique, que l'on doit cette formule et ce programme, repris à leur compte par les républicains: "il faut désangliciser l'Irlande".
La langue gaélique résista beaucoup plus longtemps. Étrangère aux nouvelles élites, elle était devenue la langue des couches populaires, plus précisément la langue des paysans. La Grande Famine de 1845-1848 avec ses conséquences terribles (un million de morts, essentiellement chez les paysans, un million et demi d'émigrés) entraîna un recul considérable de la langue qui ne survit plus que dans quelques zones reculées de l'Ouest irlandais. Les républicains aspiraient à ce que la langue gaélique redevienne la langue du peuple et des élites, la langue du quotidien, de l'imaginaire et de la science en Irlande. Les lois que l'État libre avait promulguées dans ce sens ne permirent cependant pas d'y parvenir: l'Irlande était trop dépendante du monde anglo-saxon.
Outre que son économie restait, pour partie, aux mains des Britanniques, la Grande-Bretagne et l'Amérique du Nord demeuraient les seules destinations de l'émigration massive qui, jusqu'il y a peu encore, continuait à vider l'Irlande de sa population active.
Une "Irlande unie".
Au Moyen-Âge, après l'invasion anglo-normande de 1169 et 1171, l'Irlande fut divisée entre une partie gaélique, encore aux mains des autochtones, et la partie anglaise constituant la seigneurie d'Irlande dont le suzerain était le roi d'Angleterre. À la fin du Moyen-Âge, la partie anglaise ne comptait plus guère que la ville de Dublin et ses alentours immédiats: le Pale. Les Anglo-Normands avaient, en effet, pour la plupart, adopté la langue et le mode de vie gaéliques, et s'étaient peu à peu détachés de toute allégeance anglaise pour devenir finalement "plus irlandais que les Irlandais eux-mêmes".
La Réforme, imposée par Londres à l'époque où le roi d'Angleterre Henry VIII voulait reprendre le contrôle de l'île, introduisit une nouvelle division en Irlande: la division entre catholiques et protestants. Si la majorité des autochtones et des descendants des envahisseurs anglo-normands, qu'on appelait les "Vieux-Anglais", resta fidèle au catholicisme romain, une minorité épousa la nouvelle foi, et de très nombreux colons anglais et écossais furent installés dans le pays, particulièrement dans le Nord, pour renforcer les effectifs de ses fidèles. La séparation des six comtés à majorité protestante en 1921 perpétua cette division confessionnelle: tandis que l'Irlande du Nord se transformait en bastion du protestantisme, le reste de l'Irlande voyait sa minorité protestante s'amenuiser progressivement.
Les républicains, dès l'origine, prônèrent 1'union des catholiques et des protestants dans un État irlandais confessionnellement neutre et non sectaire. Il faut remarquer que les premiers républicains (les Irlandais Unis et les membres de la Jeune Irlande) étaient le plus souvent protestants, issus pour beaucoup du presbytéranisme écossais dont les fidèles étaient considérés comme des dissidents par l'Église établie (l'Église anglicane), et soumis aux mêmes privations de droits que les catholiques. Mais les républicains ont fini par perdre, dans le courant du 19e. siècle, l'appui d'une partie substantielle des protestants, effrayés par l'émancipation des masses catholiques dont ils craignaient le "fanatisme". Les protestants considéraient désormais que 1'union avec la Couronne britannique était leur seule sauvegarde.
Aujourd'hui encore, les protestants estiment que la réunification de l'île se traduira inévitablement par l'annexion du Nord à l'Irlande du Sud, où le catholicisme romain (confessé par plus de 90% de la population) régente la vie collective. Ce qu'ils ne sauraient accepter.
 
Une "Irlande indépendante".
En 1171, quand le roi Henri Il Plantagenêt débarqua en Irlande à la tête de son armée, il reçut l'allégeance des chefs locaux. Ainsi fut instaurée la seigneurie d'Irlande. Celle-ci, qui s'étendait théoriquement à toute l'Irlande, se trouva au terme de quelques décennies limitée au Pale et à certaines villes fortifiées.
Henry VIII décida de reconquérir l'Irlande, qui s'était ainsi soustraite à l'autorité de ses suzerains anglais. Il transforma la seigneurie en un royaume dont il se proclama le souverain (1541). L'Irlande fut unie à l'Angleterre par la personne de ses rois: il ne s'agissait donc en droit que d'une "union personnelle" et pas d'une "union réelle".
Mais les plans de reconquête des rois anglais des dynasties Tudor et Stuart et de Cromwell, Lord-Protecteur de la République anglaise, s'accompagnèrent d'une véritable colonisation de l'Irlande. Au cours des guerres provoquées par la résistance des autochtones et des "Vieux-Anglais" aux 16e. et 17e. siècles, une grande partie de la population irlandaise périt, une autre partie fut chassée de ses terres et déportée vers l'ouest de l'île, voire réduite en esclavage et expédiée aux Bermudes et en Virginie. Autochtones et "Vieux-Anglais" furent partiellement remplacés par des protestants seuls pourvus de droits politiques, aux commandes des institutions locales.
Ces protestants ne tardèrent pas à revendiquer l'indépendance pour eux-mêmes, puis pour tous les Irlandais. Ainsi naquit en 1782 le mouvement des Volontaires irlandais qui arracha à Londres l'abrogation de la Loi Poynings de 1493 interdisant au parlement de Dublin de voter des lois sans l'assentiment de l'Angleterre, et la levée de toutes les entraves à l'industrie et au commerce irlandais. Dès cette époque, l'indépendance économique de l'Irlande apparut indissociable de son indépendance politique.
L'aile radicale des Volontaires irlandais créa en 1791 la Société des Irlandais-Unis, première expression du républicanisme. Passés dans la clandestinité, ses membres prirent les armes pour instaurer une république, dans laquelle catholiques, anglicans, presbytériens et autres dissidents du protestantisme seraient égaux en droit et unis "sous le nom commun d'Irlandais", pour reprendre la formule du fondateur de la Société, l'avocat protestant Theobald Wolfe Tone.
En 1800, après l'échec du soulèvement des Irlandais-Unis, Londres, usant de pressions diverses et de la corruption, fit voter par le parlement de Dublin l'union de l'Irlande et de la Grande-Bretagne: le royaume d'Irlande cessa d'exister pour céder la place au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande.
En réaction à ce coup de force se développa au 19e. siècle un courant autonomiste réclamant le "Home Rule", concurrencé par le courant républicain indépendantiste. Toutes les tentatives d'obtention du Home Rule ayant échoué, toutes les tentatives de compromis avec Londres ayant été ainsi étouffées, le courant indépendantiste représenté par Sinn Fein, créé en 1905 par Arthur Griffith, emporta les élections de 1918 en Irlande.
Les députés Sinn Fein, refusant de siéger à Londres, constituèrent l'assemblée nationale irlandaise et proclamèrent l'indépendance de l'île. La guerre de 1919-1921 fut la conséquence de cette décision lourde de portée.
Le Traité de Westminster, qui conclut cette guerre, divisa profondément Sinn Fein et l'I.R.A. Les pro-Traité estimaient que le maximum avait été obtenu en l'état de la situation militaire et qu'il fallait travailler à réaliser les objectifs politiques du républicanisme dans le cadre des institutions définies à Westminster. Les anti-Traité considéraient que le Traité paralyserait définitivement les républicains. La guerre civile s'ensuivit.
Le Traité reconnaissait à l'Irlande du Sud (26 comtés sur 32) le statut de "dominion", le même que celui dont jouissaient par exemple le Canada et l'Australie, et conservait au Royaume-Uni les 6 comtés du Nord. L'Irlande du Sud avait donc acquis une indépendance politique de facto, sinon de jure, qu'elle consolida en devenant plus tard une république. Mais les terres, les industries, le capital investi demeuraient largement aux mains des Britanniques et des étrangers. Les gouvernements provisoires de la république d'Irlande en 1916 et 1919 avaient pourtant proclamé que "l'Irlande est la propriété du peuple irlandais", formule qui résumait le projet indépendantiste des républicains dès les origines du mouvement.
Sur ce point comme sur bien d'autres, le programme républicain demeurait lettre morte.
 
Défaite de l'I.R.A.?
Pour en revenir à la conjoncture présente, force est de constater que l'I.R.A. a déposé les armes sans avoir réussi à remplir son objectif militaire: chasser l'occupant britannique, et sans que le mouvement républicain ait pu atteindre ses objectifs politiques.
On pourrait en conclure qu'elle a finalement été vaincue. C'est pourtant loin d'être le cas.
Sinn Fein et l'I.R.A. (tout comme leurs adversaires loyalistes) ont été confrontés à la lassitude des populations nord-irlandaises face à un conflit qui, entamé en 1969, s'éternisait sans que semble se dessiner une issue quelconque à celui-ci. Ils ont dû donc renoncer à gagner militairement la partie et chercher à parvenir par d'autres moyens à leurs objectifs politiques.
Mais la situation ne leur a jamais été plus favorable à bien des égards.
En premier lieu, en la personne du Premier ministre Tony Blair qui avait accordé l'autonomie à l'Écosse et au Pays de Galles, les républicains ont pu trouver à Londres un interlocuteur prêt à envisager, pour l'Irlande du Nord, un triple processus de démilitarisation, de "dévolution"(1) et de partage du pouvoir entre protestants et catholiques, républicains et loyalistes. L'accord historique du Vendredi Saint, signé le 10 avril 1998 par les gouvernements britannique et irlandais et huit partis politiques nord-irlandais, Sinn Fein compris, a permis d'amorcer ce processus.
En second lieu, la donne démographique a changé en Irlande du Nord. Les protestants, depuis leur installation en qualité de colons au 17e. siècle(2), ont toujours été majoritaires dans les six comtés. Leur natalité a commencé à marquer le pas sur celle des catholiques au début du 20e. siècle, mais leur prédominance numérique s'est maintenue grâce à la forte émigration affectant les catholiques. Or, cette prédominance est en train de disparaître. Déjà la capitale de l'Irlande du Nord, Belfast, n'est plus majoritairement protestante: elle a d'ailleurs élu un maire Sinn Fein! L'opposition à la réunification de l'île perdra donc d'ici peu son caractère majoritaire.
Enfin l'Irlande du Sud n'est plus le repoussoir qu'elle a été des décennies durant. Pendant longtemps, en effet, l'État Libre d'Irlande, devenu République d'Irlande en 1949, a été livré au sous-développement et à la pauvreté. Depuis plusieurs années, le Sud a connu une croissance sans précédent qui a fait de lui le "Tigre Celtique", un pays désormais riche et prospère grâce à l'intégration européenne (à laquelle, paradoxalement, les républicains sont hostiles). En revanche, l'Irlande du Nord, où les ouvriers du Sud venaient chercher jadis de l'emploi, n'est plus aujourd'hui qu'une friche industrielle comparable au Nord de l'Angleterre. La réunification avec la République d'Irlande présente désormais bien plus d'attraits qu'auparavant.
Si 1'union du Nord et du Sud est désormais à portée de main —ce qu'ont bien compris Sinn Fein et l'I.R.A.— l'essentiel du programme républicain reste encore à réaliser. La défense de l'identité gaélique (avec ses corollaires: la restauration de la langue, d'une culture et d'un ordre social et politique gaéliques) et de l'indépendance économique de l'île demandera beaucoup d'efforts, compte tenu de la mondialisation des échanges. D'autre part, 1'union serait bien incomplète si elle s'avérait n'être que géographique, si elle ne s'accompagnait pas d'une réelle union des catholiques et des protestants irlandais, que des siècles de méfiance et de violence ont dressés les uns contre les autres.
Voilà autant de défis à relever pour les anciens combattants de l'I.R.A. rendus à la vie civile!
Th. M.
(1) Le terme "dévolution" désigne ici l'octroi de l'autonomie.
(2) La plupart d'entre eux sont d'origine écossaise, une moindre proportion est d'origine anglaise. Il faut aussi tenir compte du fait que beaucoup d'autochtones irlandais (contrairement à ce qui a été souvent dit), parfois des clans entiers, se sont convertis au protestantisme comme en témoignent les patronymes de nombre de familles protestantes.
 
 
 
Éditorial.
Le bal des rustines.
Ceux qui s'offusquent de la grande braderie du patrimoine de l'État français n'ont pas mesuré l'ampleur de la dette publique en France. Dès les premières conférences de la Ligue savoisienne, son fondateur Jean de Pingon prévoyait la paupérisation de la puissance annexante et exhortait la Savoie à préparer son avenir loin des querelles gauloises. En 1998, l'élection de Patrice Abeille au Conseil régional permit à la Savoie de trouver un second souffle, qui ne manqua pas d'inquiéter la "nomenklatura" républicaine. Comment pouvait-il exister un groupe accusant de trahison le "Pays des Droits de l'Homme" en revendiquant une liberté dont les droits avaient été si soigneusement cachés? C'était un crime! Mais l'histoire ressert toujours les mêmes plats, diversement assaisonnés.
Il semble que le moment propice est venu pour la Savoie de se dégager d'une tutelle jacobine qui n'a plus aucune légitimité sur notre peuple. Hélas, la société française est si altérée qu'il faut craindre, dans cette période transitoire, des regains de violence tels que nous en avons connu dans le passé. La rupture sera d'autant plus douloureuse que la Savoie demeure une poule aux oeufs d'or pour une France au bord de la faillite. Mais si la Savoie demeure un pays annexé, il n'est écrit nulle part qu'elle est prédestinée à demeurer toujours l'esclave d'un État voisin qui fut si longtemps son agresseur. Avant l'annexion de 1860, la Savoie avait toujours un cheval d'avance, après l'annexion nous avons toujours eu un train de retard! Je ne fais pas allusion seulement au ferroutage...
La France a connu de nombreux esprits novateurs, parmi lesquels Montesquieu, Saint-Simon, Tocqueville, Robert Schuman... Ils ne furent guère écoutés, et les institutions gardent encore aujourd'hui des allures dignes d'un très ancien régime. Cet archaïsme français atteint aujourd'hui ses limites. L'État meurt debout: la timide décentralisation Raffarin n'était qu'un subterfuge pour habiller les transferts de charges, donc la hausse des impôts, sans réel partage des responsabilités politiques. Beaucoup d'élus le voient mais restent prisonnier du carcan de leurs partis parisiens.
Comment s'étonner, dans ces conditions, de voir brader les "fromages de la République"? On liquide ce qui reste pour tenter d'emplir le tonneau des Danaïdes, avec en perspective la banqueroute de l'État. Personne ne semble capable d'enrayer cette fuite en avant vers l'issue fatale. Relire "La vie des douze Césars" de Suétone permet de comprendre que nous sommes arrivés au périgée d'un système et qu'il est inutile de savonner une planche déjà trop glissante.
Les républiques baltes et la Slovénie, qui ont vécu voici quinze ans des épisodes tragiques, ne semblent en aucun cas regretter leurs conditions antérieures. Bien au contraire, ces pays se portent à merveille malgré les difficultés d'une reconstruction après d'immenses épreuves. Voilà les meilleurs exemples européens dont la Savoie doit s'inspirer. Ne cédons pas à l'immobilisme ni à la résignation face aux changements radicaux que nous allons vivre.
Si la France roule à plat, la Savoie ne voudra pas jouer les rustines ni les roues de secours: maintenant, chacun sa route!
Joël Ducros.
Directeur de la publication.
 
 
 
Lire votre dossier RG, c'est simple (presque) comme un coup de fil!
 
Cela ne m'a coûté que quelques timbres et un peu de patience: au bout d'un an et demi ma démarche a abouti. Le 25 juillet dernier, à l'invitation du chef de cabinet du préfet, je me trouvais dans un bureau de la préfecture d'Annecy, où je pus lire pendant une heure et demie, sous l'œil vigilant d'une fonctionnaire des Renseignements Généraux, le contenu de mon dossier constitué par cette administration.
Pas de surprise ni de révélation: les 91 documents empilés ne contenaient rien d'autre que ce qui avait été publié par L'Écho de Savoie et d'autres organes de presse. Même ma biographie résume ce que les policiers ont pu lire ici ou là dans les journaux. Une bonne revue de presse en somme, agrémentée d'observations prises sur le vif lors des Congrès de la Ligue savoisienne.
C'est à se demander pourquoi les Renseignements Généraux ne mettent pas tout simplement leurs dossiers en accès libre sur internet: l'administration y gagnerait beaucoup de temps!
Car il m'a fallu un an et demi avant de voir ma demande satisfaite. Mon premier courrier à la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés), seul organisme habilité à donner accès aux documents détenus par les RG, date en effet du 13 janvier 2004. Sur demande de la CNIL, je fournissais le 4 février 2004 quelques renseignements complémentaires. Puis plus de nouvelles. J'écrivis donc une lettre de relance le 17 janvier 2005. Cette fois j'eus droit à un appel téléphonique de la personne chargée de ces sujets à Paris: j'étais invité à me rendre dans les bureaux parisiens de la CNIL. N'ayant pas l'habitude de fréquenter la rue Saint-Guillaume, ni aucun autre quartier de la capitale des Français, j'obtins le 14 mars le privilège de pouvoir consulter mon dossier "en province". J'allais recevoir une invitation à la préfecture...
Dès le 26 mai, un courrier préfectoral m'invitait en effet à choisir entre deux jours de juin pour un rendez-vous; j'optai pour le jeudi 16 juin.
Ce matin-là, quelques minutes avant mon départ (j'habite à 10 minutes à pied du Palais du Gouverneur) le téléphone sonna: embarrassée, une employée des bureaux m'annonçait que le rendez-vous était annulé, tous les fonctionnaires des RG étant occupés par le déménagement de leur service.
Je ne savais pas que la présence d'un policier était requise pendant la consultation de mon dossier. La CNIL, consultée à ce sujet, me confirma qu'aucune législation n'impose une telle présence; mais comme la loi ne l'interdit pas non plus, les RG ne quittent jamais des yeux leurs chers dossiers dont ils permettent à contrecœur la consultation. Tant de précautions autour d'un petit tas de banalités photocopiées force le respect...
C'est donc le 25 juillet que le rendez-vous longtemps projeté put avoir lieu. J'ai dit plus haut en quoi il consistait.
Moralité: faire travailler à votre seul service, au coût d'un ou deux euros de timbres-poste, des fonctionnaires tant redoutés, voilà un petit plaisir citoyen que chacun devrait s'offrir de temps en temps!
Patrice Abeille.
Adresse de la CNIL:
(lettre à adresser à Monsieur le Président)
21 rue Saint-Guillaume
75340 PARIS cedex 07

 

 

in memoriam

Jean Dunoyer.

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Jean Dunoyer, un des piliers du Club Alpin Savoisien, est mort en montagne cet été.
Dudu, tu nous a quittés pour un dernier voyage que l’on ne pourra faire avec toi.
Venu à 51 ans à la montagne, tu t’es largement rattrapé par de nombreux voyages et aventures, et pas des moindres. Il a fallu que tu aille au Mont Mac Kinley, au Népal et en Amérique du sud, rien de moins. En plus tu as même été acteur de cinéma dans un film sur le Mont-Blanc.
Au bivouac, tu étais toujours le premier à te charger de l’intendance, et au moment du dessert tu sortais de ton sac un de tes délicieux gâteaux roulés.
Toujours prêt à partir, peu importe le but, pourvu que tu puisses bouger.
Une expérience te manquait: la mer. Tu es venu avec nous, tentant de faire des gâteaux au chocolat dans une mer démontée vers les Baléares, avec un voilier gîtant jusqu’au plat bord, car bien sûr tu étais aussi un expert dans ce domaine.
Tu as même fait une traversée de l’Atlantique en bateau-stop, tu aurais pu continuer dans le Pacifique, mais tu avais quand même l’ennui de ta Savoie après ces mois passés en mer.
"Bon Dieu de vingt Dieu" comme tu disais, des frayeurs, tu nous en a fait de toute sortes pendant ces années d’alpinisme, notamment aux rochers de la Tournette au Mont-Blanc quand tu as fait ce grand pendule, et d’autres encore moins spectaculaires mais tout aussi stressantes.
Lorsque l’on manquait d’imagination, il suffisait de te demander, et hop ça y était, on avait tout de suite un nouveau projet intéressant pour de nouvelles balades, que ce soit en alpinisme, varappe, ski de rando, raquette à neige ou VTT.
En fait, pour moi tu étais en quelque sorte comme un grand frère.
Maintenant, nous allons tous devoir faire sans toi puisque tu nous a quittés pour le grand voyage. En tout cas merci pour ton éternel sourire, ton immense gentillesse, ta grande disponibilité, et merci pour tous ces bons moments partagés.
Arvi pa!
Jean-Marie.
Dudu, Jean, Jeannot,
Un personnage qui nous a tous marqués, tous touchés, tous émus. Un ami de partage, de découvertes, d’échanges.
Avec toi, Dudu, pas de repos, peu de pauses en montant, et que faire des chemins qui serpentent? Et d’ailleurs un chemin balisé, est-ce bien nécessaire alors que l’on peut aller tout droit dans la pente? Tes pas droits dans la pente, tout à ton image: tout droit, franc, direct, honnête et sincère. Bourru quelquefois. Qui ne t’a pas entendu "gueuler" ton fameux "Bon Dieu de Bon Dieu" qui sonne dans toutes nos oreilles? Coups de gueule qui résonnent de paroi en paroi, et pardon de dire ces mots au sein de la maison de Dieu...
Dans ta bouche, ce n’était pas une insulte, un mot pour signaler ton énervement quand tu t’encoupillais avec tes bâtons dans un passage subitement plus escarpé. Juste pour nous signaler que tu avais besoin soudainement de notre attention, d’un petit conseil ou d’une main tendue.
Derrière ta grande barbe blanche que tu portes avec fierté depuis plus de 30 ans, ton visage ouvert, chaleureux et tes grands yeux bleus, vifs, rieurs, charmeurs. Dudu coquet? Oui, oh oui, pas question de rentrer sans un bon coup de peigne sur tes longs cheveux, une remise en ordre avant d’aller boire une p’tite bière et bien terminer la journée. Dudu, fin cuisinier? Confectionneur de pâtes de fruits, de coings, de gâteaux à partager. Copieux, fins, aérés, moëlleux, d’une hauteur démesurée. Une invitation? Tu en amenais un, de tes fameux gâteaux, et à chaque fois l’amour du travail bien fait, le cœur que tu y avais mis pour le faire.
Oui, parler et faire partager tous ces tours, toutes ces randos, tous ces chemins arpentés dans nos montagnes, Haute-Savoie, Savoie, Suisse, Italie, Alaska, avec à chaque fois dans tes yeux le plaisir ressenti rien qu’à les évoquer. Oh non, pas de radotage, pas de blabla, juste les noms de tes compagnons de rando, les circuits empruntés, avec une énorme tendresse. Parler de politique, des actualités du monde ou de nos régions, avec une analyse pertinente, une grande ouverture d’esprit et en ardent défenseur de notre nature.
Dudu, fier? Oh oui, pas question d’être le dernier de la file, ni en montant, ni en retournant. Dudu, un océan de chaleur. Toujours présent pour donner un coup de main, monter un stand pour le CAF, couper du bois ou plus simplement donner un conseil, encourager, soutenir. C’est que tu avais du vécu, Dudu. Respect, authenticité, naturel, simplicité, gentillesse: ces valeurs fortes qui te caractérisaient, qui nous plaisaient. Dudu fonceur, oublieux de ton âge, de ta prothèse, ignorant tes douleurs. Toujours partant. Toujours actif...
Ce dimanche, tu t’es arrêté. Brutalement. Totalement. À ton image de ne pas faire les choses à moitié. DUDU. Ce sont toutes ces images, tous ces instants de vie que nous avons précieusement dans notre cœur, et puis bien d’autres encore parce que rien ne s’oublie, la mémoire est toujours présente des souvenirs de ceux que l’on aime.
Nous te souhaitons un bon voyage.
Sabine.

 

 

50 ans!
Notre sympathique lecteur Pierrot Balthazard a fêté son demi-siècle chez lui à Cusy, le 13 août, en très nombreuse compagnie. Le Savoisien était là au moment de l'ouverture des cadeaux. Bon anniversaire, Pierrot!
 
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Pierrot et son épouse Dédée.
 
 
 
 
14 juillet en Valais avec les Savoisiens.
C'est déjà une tradition chez les Savoisiens: fuir les pesantes cérémonies militaro-républicaines du 14 juillet pour aller trouver ailleurs de vraies sources d'inspiration. Cette année, l'amicale Marguerite Frichelet avait organisé une balade valaisanne en trois étapes. Le car de 62 places était complet.
La première halte permit la visite de l'abbaye de Saint-Maurice, sur la rive gauche du Rhône: fondée en 515 par le roi des Burgondes Sigismond, elle perpétue le souvenir du légionnaire romain Maurice et de ses soldats de la légion thébaine (originaires de Thèbes, aujourd'hui Louksor, en Haute-Égypte) qui furent massacrés vers 286 par ordre de l'empereur Maximien pour avoir refusé le culte romain. La visite permet de comprendre les nombreuses modifications de l'édifice toujours menacé par les chutes de rochers et l'infiltration des eaux venues de la montagne toute proche. La plus récente destruction du clocher ne date que de 1942! Nous avons vu le tombeau de Saint Maurice (crypte), le petit cloître, le trésor de l'abbaye avec ses trois châsses en métaux précieux contenant les reliques, et de nombreux joyaux d'art ancien (dont une aiguière offerte par Charlemagne!).
Un peu plus loin dans la vallée du Haut Rhône, nous nous arrêtions au pied du village perché de Saillon pour le pique-nique. Ce village a un héros nommé Farinet, faux-monnayeur et bandit au grand coeur, qui fut retrouvé mort (atteint par une balle mystérieuse) en 1880, à l'âge de 35 ans. Un très sympathique habitant de Saillon nous accompagnait dans la montée sur le sentier des 21 vitraux qui racontent l'aventure spirituelle que fut la vie de Farinet. Nous arrivons à la plus petite vigne cadastrée du monde (3 pieds de vigne sur 1,618 mètre carré) qui appartient chaque année à une personnalité internationale différente. Puis, au sommet de la colline (où Farinet se cachait dans un puits) le Savoisien Michel Jazarguer tira un coup de fusil après avoir dit "Savoie libre et pays unis": c'était son voeu, prononcé en un lieu hautement symbolique.
La chaleur de juillet commençant à nous éprouver, la dernière étape n'en fut que plus délicieuse: le lac souterrain de Saint-Léonard, près de Sion. Ce lac, découvert en 1943, est le plus grand d'Europe: 330 mètres de long, 20 de large et 15 de profondeur. À la suite d'un tremblement de terre la grotte s'est partiellement vidée; c'est pourquoi il est possible de naviguer à la surface de l'eau transparente. C'est ce que nous avons fait sur une grande barque à fond plat conduite par un batelier. La grotte est éclairée, au fond on arrive à une petite plage où a été installée une statue de la Sainte Vierge, entourée d'un admirable décor géologique formé de gypse, schiste, marbre et charbon. Dans l'eau à 11° nagent lentement quelques grosses truites qui répondent à l'appel du batelier quand il frappe l'eau de sa rame.
À la sortie de la grotte, il restait peu de temps pour faire quelques emplettes (abricots du Valais et bouteilles de Fendant) avant de rentrer en Savoie. Quelle belle balade!
(d'après le récit de Baptiste et Sylvie Mugnier, de Thyez en Faucigny)
 
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Montée dans les vignes de Saillon

 

 

Patriotes parachutistes en Savoie Ducale.
Au matin du 14 juillet, le correspondant du Savoisien à Saint-Baldoph (près de Chambéry, Savoie Ducale) a découvert, sur une place encore déserte du village, un combattant de la Savoie libre dont le parachute s'était accroché aux branches d'un tilleul. Le parachutiste, sonné mais indemne, aurait été recueilli par des résistants de la commune. Le reste du commando n'a pas été retrouvé. Il pourrait avoir dérivé vers le nord et touché le sol dans les Bauges, où les soldats auraient été abattus par des éleveurs les ayant pris pour des loups (ou plutôt des chiens errants!). Des faits bien mystérieux, sur lesquels les habitants restent très discrets...
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La vie de Joseph de Maistre.

L'Écho de Savoie avait publié en feuilleton (du n°72 au n°77) de larges extraits d'un ouvrage devenu introuvable: la biographie de Joseph de Maistre par François Vermale, parue en 1927 dans les Mémoires et Documents de la Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie. Pour ne pas laisser inachevée cette présentation de la vie d'un des plus grands auteurs de Savoie, Le Savoisien reprend la publication là où elle s'était arrêtée.

Résumé des chapitres précédents:
Joseph de Maistre, homme de loi, membre du Sénat de Savoie à Chambéry, est un franc-maçon ennemi du despotisme, et il est d'abord séduit par la Révolution française de 1789, ce qui lui crée à Turin une fâcheuse réputation de jacobin. Choqué par l'invasion française de septembre 1792, il quitte la Savoie, réside à Aoste, Turin, revient brièvement à Chambéry puis s'installe à Lausanne (1793-1797). Il écrit des traités politiques contre la Révolution, dont le plus connu est "Considérations sur la France". En octobre 1796, il apprend que le nouveau roi (Charles-Emmanuel IV) l'appelle auprès de lui à Turin.
 
Livre IV: Turin - Venise - Cagliari (1797-1803).
Chapitre I: Les conséquences d'une fâcheuse aventure.
Le 7 mars 1797, Joseph de Maistre arrivait à Turin.
Il y avait des années que J. de Maistre rongeait son frein. Avec la vigueur, l'énergie physique dont il était doué, il aspirait depuis longtemps à agir pour son Roi dans de grands emplois de l'État. Il n'en redoutait pas les responsabilités, comme ces vieillards débiles qui n'avaient pas su parer aux catastrophes sans nom qui venaient de se produire. À ce point de vue, on ne pouvait rien lui reprocher. Il avait bien demandé à être intendant général ou ambassadeur, mais le Roi, circonvenu, avait dédaigné d'utiliser ses talents de politique. On l'avait renvoyé en le traitant, les uns d'homme d'esprit, les autres de jacobin. Ah! si l'on avait voulu employer, en haut lieu, cette force neuve qu'il était et dont il avait conscience, que de fautes auraient été évitées! Est-ce que le nouveau roi Charles-Emmanuel IV, qui l'appelait à Turin, n'allait pas réparer toutes ces erreurs, et lui confier peut-être même les rênes du char de l'État embourbé? Dans son for intérieur, J. de Maistre croyait que son heure était venue. Cette espérance fut courte. Dès le 1er avril, il inscrivait dans ses Carnets: "Aujourd'hui, j'ai 44 ans. J'ai beaucoup respiré, mais point du tout vécu, et pour moi, tout est dit en ce monde". Il avait beaucoup, en effet, travaillé, médité, paperassé, mais fort obscurément. Il n'avait pas vécu au sens fort de ce mot. Vivre, pour lui, c'était collaborer avec son Roi dans le commandement de ses sujets. À cette carrière des grands emplois, il s'y était préparé. Il pouvait légitimement, du reste, y aspirer, car les rois de Sardaigne avaient la coutume de choisir, parmi les sénateurs, les titulaires des plus hauts postes de la monarchie. Occuper un siège de juge, dire le droit, ce n'était pas pour lui agir, vivre. Il aspirait à autre chose, et ce quelque chose ne venait toujours pas. Le 8 avril 1797, complètement découragé, il songe à une retraite définitive. Ses Carnets portent: "8 avril, rien de nouveau sur mon sort. Je m'occupe beaucoup de l'idée de me retirer avec une pension un peu plus forte que la mienne si je puis l'obtenir, pour me donner uniquement à l'éducation de mes enfants".
Tout à coup le succès des "Considérations sur la France" le met en pleine vedette. Les honneurs officiels pleuvent sur lui. Le 27 octobre, il était question de le nommer conseiller d'État; la nouvelle en était plus qu'officieuse: le comte d'Hauteville, ex-ministre des affaires étrangères, l'en avait averti. À ce moment se produisit pour J. de Maistre l'incident catastrophique de la saisie, par l'état-major du général Bonaparte, d'une lettre à lui adressée par Louis XVIII. C'était pour J. de Maistre l'inculpation d'intelligence avec les ennemis des alliés de son Roi. En vertu du traité de Paris, Bonaparte pouvait exiger de Charles-Emmanuel IV l'expulsion du correspondant de Louis XVIII du territoire du Piémont. Nous lisons dans ses Carnets: "Le lendemain 28, j'apprends qu'une lettre, interceptée à Milan, renverse toutes mes espérances dans ce pays, et m'obligera peut-être de chercher ailleurs une patrie. Suivant les apparences, cet évènement change ma destinée future. Sera-ce un bien?" (...)
Le 28 novembre, J. de Maistre adressa une note à son ministre des affaires étrangères, sur cette affaire. Le 15 janvier 1798, ayant demandé à être reçu, il essuya un refus, et il inscrivait sur ses Carnets: "J'ai connu que la tempête n'était pas calmée". J. de Maistre quitta alors Turin pour se réfugier à la cité d'Aoste. Dans cette ville, il fut l'objet d'une dénonciation de la part du club révolutionnaire qui l'accusa de complot. Il revint à Turin le 17 mai. Dans la nuit du 7 au 8 décembre, Charles-Emmanuel IV abdiquait et se retirait dans l'île de Sardaigne. Le Piémont était annexé à la France.
Le 21 décembre, J. de Maistre écrivait: "J'ai pris congé de tous mes amis; et n'ayant plus rien à faire à Turin depuis l'arrivée des Français, j'en suis parti le 27 au matin, par un froid très aigu, avec ma femme et mes enfants, et je me suis embarqué sur le Pô pour Venise".
Le 30, J. de Maistre notait: "J'ai passé la nuit sur l'eau dans ma chétive barque. La cabane était mal faite, mal réparée; l'air était froid, il est tombé toute la nuit une neige fondue qui se glissait à travers les nattes mal assemblées qui nous couvraient. Cette nuit a été bien longue". Dans la nuit du 15 janvier, étant à Polisella avec un équipage sur un chariot, des soldats français le volèrent. Le 22 janvier 1799, à 6 heures du soir, il débarquait à Venise. J. de Maistre était tout à ses soucis matériels; aussi, dans ses Carnets, n'accorde-t-il pas une ligne, pas même un mot au décor vénitien. Il s'empressait de trouver un logement pour 15 livres tournois, soit 30 livres de Venise. Comme ses ressources étaient faibles, qu'il avait dû emprunter 100 livres à son ami Vignet des Étoles, il s'émerveillait avec les siens de pouvoir manger à 26 sols de France par repas et pour quatre personnes!
***
Venise était une des capitales de l'émigration. Le gouvernement de cette république y avait toujours été favorable aux émigrés. M. de Thiollaz y était déjà venu dans l'hiver de 1794, et avait rapporté à Lausanne d'excellents renseignements sur les possibilités d'installation des prêtres savoisiens au cas où le séjour en Suisse leur deviendrait difficile. Ces renseignements, J. de Maistre les connut. Ils influèrent sur lui lorsqu'il quitta Turin en décembre 1798.
À Venise, J. de Maistre eut des entrevues avec le cardinal Maury, dont la célébrité datait des séances de la Constituante, et avec un certain M. Pacanari "qui veut rétablir l'ordre des Jésuites".
***
En mars 1799, les affaires de la monarchie sarde s'améliorèrent brusquement. J. de Maistre en écrivait: "La face des affaires politiques a changé totalement en Italie et peut-être en Europe. Le 25 mars, les Français ont été battus sur l'Adige, devant Vérone. Le 27, ils l'ont été à Cassano sur l'Adda, et Milan est à l'Empereur. Ces évènements sont bien plus admirables pour ceux qui ont vu que personne ne soupçonnait seulement il y a un mois la possibilité de la victoire; qu'on s'attendait à évacuer Venise, que rien n'était prêt, qu'on désespérait du succès à mesure qu'on était plus au fait des hommes et des affaires, et qu'un grand personnage de Vienne, membre du ministère, écrivait en confidence, il y a moins de deux mois (j'ai vu la lettre): Nulla salus bello. Les gazettes diront ce qu'elles voudront, mais je sais que personne ne doit être plus surpris du succès des Impériaux que le général Kray qui en est le principal instrument".
C'était le beau temps après la tempête! Les troupes austro-russes reprenaient Turin le 26 mai 1799.
Le 28 juin, l'esprit soulagé, J. de Maistre allait à Padoue pour assister au débarquement de 4000 cosaques. Attitude bien romantique déjà: parce qu'il avait le cœur en joie, la nature semblait lui sourire au cours de ce voyage. Il retrouva des yeux et il admira. Il écrivait: "Les bords de la Brenta sont extrêmement agréables. On voit à droite et à gauche de fort beaux palais. En général, jusque dans la façade d'une bicoque, on sent l'architecture".
À Florence il rencontra la reine et le roi de Sardaigne (13 octobre). Il fut présenté à Alfieri, "l'un des ornements de l'Italie"; il obtint pour un de ses frères une mission de confiance. C'était la fortune! Son lyrisme déborde: "21 et 22 octobre. — J'ai vu et revu la Gallerie. Quel plaisir! quel enthousiasme! de quelle satisfaction je me sentais pénétré en voyant qu'il existe encore en Italie un heureux coin de terre que la main sacrilège des Vandales parisiens n'a pas encore ravagé et profané!"
Le 27, le Roi lui accorda la croix de Saint Maurice. Le 28, il commence à la porter.
Il déborde à nouveau d'enthousiasme: "29 octobre: j'ai revu la Gallerie avec M. le chevalier Pucini, directeur de ce bel établissement; son enthousiasme raisonné m'a également instruit et amusé". — "4: j'ai vu la bibliothèque de l'église de St-Laurent. La chapelle des Médicis, quoique non finie, passe en magnificence ce que les plus grands monarques possèdent en ce genre; la bibliothèque est encore unique en son genre, une bibliothèque de manuscrits ne se voit nulle part hors de Florence. J'ai vu avec un plaisir inexprimable des manuscrits autographes de Pétrarque, de Sannazar, de Machiavel".
Quel dommage! Ce nouveau décoré nous fait l'effet d'un nouveau riche! Il parle de l'éclat de l'or de la chapelle Médicis et pas un mot sur la vieille sacristie où se trouvent les fameux tombeaux de Michel-Ange! Oh! fortune qui aveugle!
Chapitre II: Séjour à Cagliari.
Dans l'île de Sardaigne, J. de Maistre passa trois ans (janvier 1800 - janvier 1803), en qualité de Régent de la Chancellerie, c'est-à-dire chef des services judiciaires, connaissant des affaires civiles, criminelles et de droit maritime. Mais la résistance de Masséna à Gênes, puis la victoire de Bonaparte, devenu consul, à Marengo (14 juin 1800), ne tardèrent pas à rendre l'Italie aux Français, qui réoccupèrent le Piémont et Turin. Charles-Emmanuel ayant perdu ses possessions sur le continent, se réfugia à Rome encore État pontifical. À la suite de ces évènements, J. de Maistre, passé dans l'île de Sardaigne, devint le chef de l'unique Cour de justice où l'on rendît le droit au nom de son souverain.
Le plus souvent les historiens passent presque sous silence ce séjour de J. de Maistre à Cagliari. Nous croyons, au contraire, que ce séjour mérite plus qu'une brève mention. Le grand chef de la justice de Charles-Emmanuel IV nous y apparaît en effet sous un jour particulièrement heureux et le philosophe, qui a soulevé les protestations avec les haines d'une partie de l'opinion au 19e. siècle, se révèle à nous comme un magistrat scrupuleux et indépendant. De telles qualités ne furent jamais d'un mince mérite.
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La population de l'île de Sardaigne était peu attachée à la cause de ses rois. De plus, accessible à la propagande des ennemis de la Maison de Savoie, au premier rang desquels il fallait mettre les Français, elle se laissait aller volontiers à comploter contre la sûreté de l'État. D'autre part, les Anglais, alliés du roi de Sardaigne, se comportaient, dans les ports de cette île, comme s'ils avaient été en pays conquis. Ils rossaient les gardes du roi qui osaient leur demander des comptes et empêcher la contrebande à laquelle ils se livraient. Ils imposaient de force des réquisitions de vivres pour leurs navires. Leurs corsaires n'hésitaient pas à poursuivre et à saisir les bateaux des nations étrangères, qui se réfugiaient dans les ports de l'île de Sardaigne.
Tout cela était fait pour créer au chef de la justice royale dans l'île de Sardaigne de multiples soucis.
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Le vice-roi de l'île était le duc de Genevois, un des frères de Charles-Emmanuel IV. Doppet, un révolutionnaire savoyard, qui l'avait connu à Turin, avait écrit de lui en 1791 que ce prince "était alerte et gai, mais très ignorant". Il n'est pas douteux que ce duc aurait voulu que la justice criminelle dans l'île fût expéditive et sommaire. Or, nous savons que J. de Maistre détestait la pratique des cours martiales, et le pouvoir de police des "majors de place". Il avait dénoncé dans ses "Lettres d'un royaliste savoisien" les pouvoirs de police accordés à l'armée comme une source d'arbitraire, une cause de désaffection des sujets à l'égard de leur roi, un empiètement dangereux pour le pouvoir royal lui-même.
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Quand il fut grand justicier, J. de Maistre s'opposa à ce que l'on transgressât les règles établies par les Royales Constitutions. Il voulut des dossiers bien constitués et qu'aucune décision ne fût rendue que sur des preuves apportées par une instruction minutieuse. Cette méthode ne plut pas au duc de Genevois et à son entourage. Il y eut dans maintes affaires des conflits graves. Le duc demanda même le rappel de J. de Maistre, mais ne l'obtint pas.
Pour l'éloge de J. de Maistre grand justicier, les archives d'État de Cagliari conservent des dossiers fort édifiants. Voici quelques exemples: Dans la grosse affaire du complot pour haute trahison du tribun Vincent Salis, J. de Maistre refusa d'inculper, comme complice, le notaire Jean Salis. Il le fit élargir. De même, après étude des pièces, il fit remettre en liberté le professeur de droit Louis Liberti. Il écrivit au roi un Mémoire pour le laver de tout soupçon et le remettre en grâce.
Les registres judiciaires de cette époque montrent, d'autre part, qu'il visitait très souvent les prisons, interrogeait longuement les prisonniers avant de donner au roi son avis sur la possibilité de leur accorder leur grâce ou une remise de peine.
Si, plus tard, J. de Maistre s'exprime toujours avec aigreur sur les Sardes et le séjour qu'il avait fait dans l'île de Sardaigne, c'est qu'il craignait d'avoir eu des faiblesses coupables envers le pouvoir et d'avoir condamné peut-être des innocents. Témoin cette admirable lettre, une des plus belles pages de la littérature judiciaire, qu'il adressait au chevalier Rossi cinq ans après avoir quitté Cagliari: "En feuilletant, l'autre jour, mes paperasses, j'ai trouvé le jugement que nous rendîmes à Cagliari, le 30 septembre 1801, contre le sens commun et contre les conjurés Padda et compagnie. Dites-moi, je vous en prie, M. le Chevalier, si cela ne vous empêche point de dormir. Pour moi, je vous l'avoue, à 80 lieues de distance, j'en suis souvent troublé, quand je me rappelle cette monstrueuse procédure et tout ce qui s'est passé à cet égard. J'en veux mortellement à la Sardaigne, parce qu'elle m'a fait connaître le remords ou, du moins, quelque chose qui y ressemble fort. Tandis que vous m'accusez peut-être d'avoir été un peu téméraire dans telle ou telle occasion, je m'accuse, moi, de n'avoir pas cassé les vitres. Je crains d'être taché de sang et cette idée me persécute sans cesse. Jamais je ne serai tranquille sur ce point.
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À un certain point de vue cependant son séjour de trois ans dans l'île de Sardaigne fut heureux pour J. de Maistre. En sa qualité de Régent de la Chancellerie, il recevait 20.000 livres. Grâce à ce traitement enviable dans cette époque de misère du Trésor royal, il put payer ses dettes et économiser 10.000 livres. C'était, pour un émigré, presque la fortune.
Du reste, comme toujours, J. de Maistre resta à Cagliari très soucieux de ses intérêts personnels et de ceux de sa famille. Il n'oubliait pas ses biens confisqués en Savoie. Aussi quand, en 1802, après le traité de Londres, les Français, dans leur joie d'avoir peut-être retrouvé la paix extérieure et la tranquillité intérieure, acceptèrent l'amnistie de l'an X pour les Émigrés, voulut-il profiter de ces circonstances favorables afin d'essayer de récupérer partie de ces biens.
Ce fut d'abord son frère Nicolas qui retourna à Chambéry pour se marier et vivre en gentilhomme campagnard. Puis ce fut Mme. de Maistre et ses deux enfants. Il fallait bien parer, dans la mesure du possible, à l'orage qui grondait à nouveau et menaçait le Régent de la Chancellerie. Il était nécessaire de prévoir. En effet la reine, Clotilde de France, protectrice de J. de Maistre, venait de mourir à l'improviste, le 7 mars 1802, après une maladie de six jours. Les Carnets soulignent: "Cette mort doit avoir pour nous des suites politiques". Le 4 juin suivant, Charles-Emmanuel IV abdiqua... C'était un ordre nouveau qui commençait... Est-ce que J. de Maistre, privé de ses appuis royaux, allait pouvoir conserver son poste de Régent? Il en douta. Il songea, comme en toute circonstance, d'abord aux siens. Il renvoya son frère, sa femme, ses enfants en Savoie pour essayer d'y trouver au moins un abri contre l'orage qui pouvait fondre. Le jour de la séparation il inscrivit dans ses Carnets: "Depuis le commencement de la Révolution, je ne me rappelle pas d'avoir éprouvé un moment si amer".
Quant à lui, il resta à Cagliari en attendant les évènements. Alors que, pour échapper à l'angoisse, il cherchait, selon son habitude, un dérivatif dans le travail intellectuel et se livrait à l'étude de l'hébreu sous la direction d'un Père Dominicain, la fortune lui redevint favorable.
Bonaparte, par un arrêté de l'an X, ayant imposé aux nobles piémontais absents de rentrer en Piémont sous peine de confiscation de leurs biens, eux, si jaloux des places à la Cour, ne se sacrifièrent pas, comme les nobles savoisiens en 1792, à la cause de la fidélité à leur roi. Ils rentrèrent en masse. La Cour du nouveau roi Victor-Emmanuel Ier fut réduite à 5 à 6 personnes. Les postes éminents de l'État devinrent vacants. Dans ce désarroi, J. de Maistre fut appelé à remplacer l'ambassadeur le plus important, avec celui de Londres, de la Maison de Savoie. Les Carnets portent: "23 octobre. Une lettre de Rome du 7 septembre m'apprend que le Roi m'a destiné à la mission de Petersbourg: grande et inattendue nouveauté qui, suivant les apparences, m'ôte pour toujours à la magistrature, et doit absolument changer mon sort. Si l'impitoyable loi française contre les Piémontais n'avait pas forcé le comte de Vallaise à quitter son poste, je n'aurais pas cette bonne fortune! C'est toujours ma devise: Inimicis juvantibus".
 
Chapitre III: Départ pour Rome.
Les Carnets nous apprennent que J. de Maistre se mit en route pour la Russie, le vendredi 11 février 1803. Il s'embarqua pour Naples à Cagliari. Au cours de la traversée, les noms des îles italiennes de Ponza, d'Ischia, de Caprée réveillèrent en lui "mille idées poétiques". Cependant il éprouva une tempête et ne put débarquer à Naples que le 16 février.
(...)
Après avoir visité Pompéï et Herculanum, il s'arrête, le 25, à la Chartreuse et au château de Saint-Elme d'où l'on découvre la baie de Naples. "C'est sur la terrasse de cette maison religieuse, c'est de l'appartement du Prieur qu'on peut contester à J.-J. Rousseau son assertion: que les environs du lac de Genève forment le plus beau paysage que l'œil humain puisse contempler". J. de Maistre n'ose se prononcer. Il aime beaucoup ce paysage du lac de Genève au bord duquel son ami Costa de Beauregard avait un château. Il l'a souvent admiré. C'est son lac... Littérature du Nord, littérature du Midi, paysages du Nord, paysages du Midi, lacs du Nord, flots de la Méditerranée, il est indécis, son romantisme hésite. Il conclut par une conciliation: "J'ai vu quelques paysages dans ma vie: entre le point de vue de la terrasse des Chartreux de Naples et celui des Eaux-Vives, près de Genève, on peut balancer, mais je n'en ai jamais vu qu'on puisse leur comparer".
J. de Maistre quitte Naples pour Rome. Il passe par Capoue, Gaëte dont le golfe est toujours "charmant et la situation délicieuse". Il constate que les auberges, sur ce trajet tant vanté par les Anciens, sont infâmes. Il arrive à Rome le 2 mars, à 2h 1/2 de l'après-midi. Dix jours après, il était présenté au Pape. Il assiste à une messe au Vatican. Quinze ans plus tard, il écrira dans une lettre à un de ses amis visitant Rome: "Que ne donnerais-je pas pour avoir parcouru Rome avec vous! J'espère que le spectacle principal qu'elle présente ne vous aura pas échappé: c'est celui du génie antique et du génie moderne qui se rencontrent dans cette ville unique, et qui se prennent pour ainsi dire au collet, sous l'œil de l'observateur. Rien ne m'a plus frappé, rien ne m'a plus intéressé que ces contrastes".
(...)
***
En 1804, il écrira sur son séjour à Rome, à la comtesse Trissino de Salvi à Vienne, cette lettre: "Je ne trouve pas dans ma mémoire de souvenir plus agréable que celui des politesses dont vous m'avez comblé à Rome. C'est par vous, Madame, que je ne m'y suis point trouvé étranger. Votre idée se mêle bien justement à celle des chef-d'œuvre que nous avons visités ensemble; et lorsque je pense à la Villa Borghèse, je vois toujours à côté de chaque statue la figure de mon aimable introductrice".
(à suivre...)

 
Les rapports complexes de la religion et de l'identité.
Après avoir fait paraître en 1999 aux Editions Ellipses une Histoire de la Bosnie-Herzégovine, notre ami Thierry Mudry publie aujourd’hui chez le même éditeur un ouvrage intitulé Guerre de religions dans les Balkans.
Il y expose le résultat des travaux qu’il a menés depuis quelques années, en qualité de chercheur associé à l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence sous la direction du Professeur Bruno Etienne.
 
Le Savoisien l’a interrogé sur la teneur de ce livre et sur les enseignements qu’il est éventuellement possible d’en tirer pour la Savoie.
 
(suite de l'entretien publié dans Le Savoisien n°6)
L’introduction est toute entière consacrée à une attaque en règle contre la "géopolitique déterministe". Pourquoi cette charge?
— Il existe, bien évidemment, des données géographiques, ethniques et confessionnelles incontournables. Ces données délimitent le champ du concret dans lequel évoluent les peuples mais elles ne déterminent pas nécessairement des orientations identitaires ou géopolitiques précises. En bref: les peuples ont toujours le choix. À cet égard, mon livre se voulait aussi, très ambitieusement, un plaidoyer pour une géopolitique non déterministe.
"Les peuples ont toujours le choix": que signifie cette formule? L’histoire balkanique nous apprend que, tout au long de leur existence, les peuples se trouvent placés devant des choix qu’ils peuvent ensuite révoquer. D’abord devant des choix identitaires. Ils doivent ainsi, en tout premier lieu, répondre à la question qu’ils se posent à eux-mêmes et que les autres leur posent: qui sommes nous? qui êtes-vous? Une fois qu’ils ont répondu à cette question, ils doivent définir leur rapport à l’espace et aux autres peuples. Et ils sont alors confrontés à des choix géopolitiques.
Je citerai quelques exemples à l’appui de mon propos.
Les orthodoxes de Croatie, pour la plupart d’origine valaque, ont dû, au 19e. siècle, faire le choix d’une nationalité. Ils ont longtemps hésité. Leur enracinement en terre croate les poussait vers la nationalité croate, leur appartenance à l’Église orthodoxe serbe les poussait vers la nationalité serbe. Après qu’ils eurent d’abord opté massivement pour la première comme en attestent les recensements des années 1870, une minorité seulement (étudiants et militaires) a choisi de se dire croate et l’écrasante majorité s’est finalement affirmée serbe. Le choix aurait pu être autre. Il n’a d’ailleurs pas empêché, à l’époque de la Yougoslavie royale, le principal parti des Serbes de Croatie (le Parti démocratique indépendant) de s’allier au Parti paysan croate pour tenter d’arracher à Belgrade l’autonomie de la Croatie, épousant ainsi les revendications de la population et des nationalistes croates.
Les Bosniaques musulmans, très attachés à l’empire ottoman, ont refusé des décennies durant d’opter pour une nationalité, alors même que leurs compatriotes de confession orthodoxe choisissaient de se déclarer serbes et leurs compatriotes de confession catholique se proclamaient croates. Quand la Yougoslavie vit le jour, les Bosniaques musulmans se contentèrent d’être des Yougoslaves "de nationalité indéterminée". En 1968, les autorités titistes reconnurent l’existence d’une nationalité "musulmane" afin de leur permettre d’accéder au statut de nation composante à part entière de la Fédération yougoslave. La plupart des Bosniaques musulmans acceptèrent de bon cœur cette dénomination. Puis, au cours de la guerre de 1992-1995, ils abandonnèrent l’identité "musulmane" au profit de l’identité "bosniaque" et cessèrent donc d’être des Musulmans pour devenir des Bosniaques. Ce faisant, ils décidèrent d’exclure en quelque sorte les Serbes et les Croates de Bosnie-Herzégovine de l’héritage bosniaque commun.
Au Kosovo et en Macédoine, les minorités musulmanes slave, turque et rom, sont confrontées depuis des décennies au problème de l’assimilation par le groupe musulman de loin le plus nombreux: les Albanais. Les Roms, victimes de surcroît d’une réputation détestable, ont décidé, pour une partie d’entre eux, de s’affirmer "égyptiens". Ainsi ont-ils pu échapper aux tentatives d’assimilation des Albanais en même temps qu’à l’opprobre dont ils souffraient en tant que Roms! La liberté de choix des peuples, comme on le voit, peut être poussée jusqu’à l’absurde!
 
Peut-on en tirer un enseignement pour la Savoie?
— Les partisans de la Savoie française estiment que les Savoyards sont des Français, qu’ils l’ont toujours été, comme en témoigneraient l’usage ancien et enraciné de la langue française en Savoie, leur vote quasi-unanime en faveur du rattachement à la France en 1860 et le patriotisme sans failles dont ils auraient fait preuve depuis lors.
Le fait que la Savoie ait été annexée à plusieurs reprises au cours de son histoire attesterait de ce qu’elle se place naturellement dans la mouvance française. Seule l’intervention des puissances étrangères désireuses d’empêcher la réalisation de l’ "unité française" expliquerait les restaurations successives de la souveraineté savoisienne. Le destin de la Savoie, terre française, s’inscrirait donc définitivement dans les "frontières naturelles" de la France.
Évidemment la réalité est toute autre. À l’instar des peuples balkaniques, auxquels le choix de l’identité nationale est offert, les habitants de la Savoie, forts d’une histoire et d’une culture particulières qui ne se confondent en rien avec celles de la France, sont campés devant cette alternative: rester des Savoyards, membres de l’ensemble français, ou redevenir des Savoisiens, un peuple alpin souverain.
 
Les Savoisiens peuvent-ils trouver des modèles, des sources d’inspiration dans les Balkans?
— Avant de répondre à cette question, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les Savoisiens ont eux-mêmes pris une part active à l’histoire des Balkans en s’opposant victorieusement pendant un temps à la conquête ottomane et en appuyant les tentatives de libération des peuples balkaniques du joug ottoman. Je ne fais pas allusion ici aux nombreux volontaires qui avec le Prince Eugène ont, aux 17e. et 18e. siècles, servi dans les armées habsbourgeoises et infligé maints revers aux troupes du Sultan, mais à l’engagement politique et militaire de la Savoie en tant qu’État dans les affaires balkaniques. Alors que l’empire serbe venait à peine de s’effondrer, le Comte Vert, Amédée VI, fit irruption dans les Balkans à la tête de ses armées. Il écrasa à plusieurs reprises les troupes ottomanes et sauva ce qui restait de l’empire byzantin qui connut ainsi un répit d’un siècle, avant de se retirer, invaincu, de la région (1364). Par la suite, la Savoie, après avoir participé à la bataille navale de Lépante, fut sollicitée par les clans monténégrins et albanais, rassemblés sous la direction du patriarche de l’Église orthodoxe serbe. Ces conjurés proposèrent au duc Charles-Emmanuel Ier de se placer à leur tête et lui offrirent de devenir roi des territoires ainsi libérés de la domination ottomane (1608).
Pour en revenir à la question posée, à mes yeux, deux exemples tirés de l’histoire balkanique pourraient inspirer les Savoisiens: l’exemple des nationalistes monténégrins et celui du chef paysan croate Stjepan Radic (prononcer : Stiépane Raditch).
Le Monténégro est à la Serbie ce que la Savoie est à la France. Son identité nationale est totalement niée par les partisans de la Grande Serbie, très nombreux chez les Monténégrins eux-mêmes, qui considèrent que ses habitants sont des Serbes à part entière et ne peuvent en aucun cas se définir d'une autre manière. Or l’histoire du Monténégro, comme l’histoire de la Savoie, est celle d’un petit peuple montagnard qui a su, pour l’essentiel, jalousement préserver son indépendance, en dépit d’une annexion prolongée à la Serbie lors du Bas Moyen-Age (12e.-14e. siècles), en dépit également des offensives répétées de l’armée ottomane toutes repoussées. Le Monténégro prit part à la Grande Guerre dans le camp de l’Entente. En 1915, face au déferlement des troupes germano-autrichiennes, l’armée monténégrine se sacrifia pour permettre à l’armée serbe d’échapper à la captivité. En guise de remerciement, les Serbes occupèrent le Monténégro manu militari en 1918 et une assemblée fantoche prononça la déchéance de la dynastie locale et l’annexion du pays à la Serbie. Une partie de la population se lança alors dans une résistance armée, qui fut sauvagement réprimée (1918-1928). En 1945, Tito reconnut l’identité monténégrine en conférant au Monténégro le statut de république, composante de la Fédération yougoslave. Lorsque cette dernière éclata en 1992, la plupart des Monténégrins prit fait et cause pour les Serbes dans le conflit qui les opposait aux Croates et aux Bosniaques. Seule une minorité, les habitants du Vieux Monténégro, le cœur du pays autour de la capitale historique, Cetinje (prononcer: Tsétinié), refusa alors de cautionner les exactions serbes et commença à revendiquer ouvertement l’indépendance. Les souffrances endurées par les Monténégrins durant cette guerre, la volonté exprimée par Belgrade de réduire l’autonomie du Monténégro, conduisirent un nombre sans cesse plus grand d’habitants à épouser l’option nationaliste. Une partie de l’établissement autour du jeune et ambitieux Milo Djukanovic (prononcer: Djoukanovitch) s’y rallia également et parvint ainsi à s’emparer du pouvoir localement, en éliminant la vieille garde communiste. Finalement, une majorité de Monténégrins sont aujourd’hui acquis au projet indépendantiste et seule la pression exercée par l’Union européenne les a conduits à suspendre provisoirement l’exécution de ce projet. C’est bien la preuve que l’indépendance d’un peuple sous tutelle peut en quelques années s’imposer aux intéressés comme une nécessité et une évidence incontournables!
Stjepan Radic incarne, pour sa part, le succès (à long terme) d’une politique nationale pacifiste. Panslaviste et favorable au rapprochement croato-serbe sous la monarchie des Habsbourg, Radic s’opposa en 1918 à la création d’un royaume yougoslave unitaire copié sur le modèle français, dans lequel la Croatie cessait totalement d’exister en tant que nation. Il fit approuver par les députés croates la constitution d’une république paysanne indépendante et neutre. Conscient de l’échec de cette démarche qui ne fut suivie d’aucun effet, il tenta ensuite par tous les moyens légaux possibles de défendre les droits nationaux du peuple croate dans la Yougoslavie royale et s’allia, pour ce faire, aux Serbes de Croatie, aux nationalistes monténégrins, aux Turcs et aux Slaves musulmans de Macédoine et du Kosovo, et même à l’opposition serbe de Serbie. Représentant un danger grandissant pour le pouvoir central, il fut assassiné en juin 1928, en plein parlement yougoslave, par un député proche du roi. Sa mort permit au roi Alexandre d’instaurer la dictature, mais le peuple croate et les Serbes de Croatie restèrent unis derrière les successeurs de Radic et le gouvernement yougoslave fut finalement obligé d’accorder en 1939 une très large autonomie à la Croatie.
Cette réalisation (au moins partielle) des objectifs nationaux croates par des moyens pacifiques fut le résultat d’une politique volontariste fondée sur une double solidarité, nationale et inter-nationale. Le parti de Stjepan Radic ne cessa de défendre les intérêts des paysans, qui représentaient les trois quarts de la population croate, et les organisa en coopératives, dessinant ainsi un modèle de société réellement responsable, indépendant dans les faits des subsides de l’appareil d’Etat, et réellement solidaire. Par ailleurs, Radic soutint sans relâche la cause nationale des autres peuples et minorités victimes de la domination des Serbes de Serbie au sein de la Yougoslavie royale et, prenant en charge cette cause qu’il associait à la cause croate, il donna plus de force et de résonance aux revendications de son peuple.
Voilà pour moi en effet indiscutablement deux exemples à méditer.
(Fin de l'entretien)
 
 
 
Courrier des lecteurs.
De M. Paul MOSSUZ, à Ville-la-Grand (Faucigny):
Sur le TCE et l'Europe en général.
(Réaction aux articles "Le oui de la Savoie plombé par le non de la France" et "Les conséquences du non" par Adrien Fournier parus dans Le Savoisien de juin/juillet 2005)
Ces écrits laissent à croire que les adhérents de la Ligue Savoisienne et les Savoisiens de cœur qui ont voté oui au traité de Constitution européenne sont des types bien, alors que les électeurs de France qui ont refusé ce traité n’ont rien compris.
Les Savoisiens qui ont voté non vont-ils être considérés comme des parias et vont-ils finir par se faire exclure de la Ligue Savoisienne?
Adrien Fournier s’empresse de nous démontrer tous les avantages que pouvait apporter ce Traité de Constitution Européenne.
Je vais me permettre de remonter jusqu’au Traité de Mastricht en 1992. Ce traité devait résoudre toutes les difficultés et apporter le bonheur économique. L’économiste Jacques Généreux qui en avait pourtant été un ardent promoteur disait dans le courant du printemps dernier que ce traité n’avait tenu aucune de ses promesses. En effet, qui nous avait prévenus par exemple du fait que le passage à l’euro se traduirait pour le citoyen par d’importantes augmentations de prix? L’Italie a dû battre un record dans ce domaine puisque "les prix de la distribution ont pratiquement doublé avec le passage à l’euro" (dans l’hebdomadaire Le Point).
L’euro n’est ni le bouclier promis contre le dollar ni la panacée prévue contre le chômage. Il aboutit en tout cas pour certains pays à une désindustrialisation et à des records d’endettement pour lesquels aucune solution n’est proposée...
Et puis il y a eu ce fameux Traité sur la Constitution Européenne qui devait en plus corriger les erreurs majeures consécutives au Traité de Nice, pourtant présenté en son temps comme une avancée certaine pour l’Europe.
Quelques considérations générales pour terminer:
— en 2050, on devrait avoir sur la planète 6 hommes dits occidentaux (en incluant les États-Unis) pour 100 habitants.
— en 2050 toujours, l’Europe actuelle devrait compter 20 millions d’habitants en moins. C’est paraît-il à cause de cela que certains aimeraient voir rentrer la Turquie et sa nombreuse population dans l’Europe.
Et c’est dans de telles conditions que l’on voudrait nous faire croire que l’on veut bâtir une Europe bien organisée et puissante.
Ce Traité de Constitution Européenne n’est finalement qu’un traité posthume pour une débâcle démographique et économique avec des nations fatiguées et vieillissantes pour la plupart et dirigées par des hommes politiques lâches, opportunistes ou usés.
On espérait rivaliser avec les États-Unis d’Amérique, qui eux conservent un dynamisme démographique et économique évident tout en étant une nation constituée, contrairement à l’Europe, et qui sont surtout capables de réagir en situation difficile. Il n’est pas imaginable d’imaginer notre Europe capable d’organiser un raid comme celui fait par les Américains en 1986 sur la Lybie, ce qui n’empêche pas ces derniers, du reste, de commettre des erreurs.
Meilleures salutations.
P.M.
 
Réponse:
Votre courrier est le bienvenu, car dans les colonnes du "Savoisien" on peut débattre sans considérer l'autre comme un paria et sans songer à l'exclure! Il est dommage que vous n'ayez pas participé au débat en 2004, notamment à l'occasion du 9e. Congrès de la Ligue savoisienne à Bourg Saint-Maurice, où fut prise par vote secret la décision de voter oui au Traité Constitutionnel.
À l'époque du Traité de Maastricht, la Ligue savoisienne n'existait pas. Vous relevez certains effets douloureux de l'euro, mais où en serions-nous avec un franc français en pleine dégringolade?
Le succès du non ne paraît pas vous avoir redonné de l'optimisme. Il faut pourtant faire quelque chose pour que l'émancipation de la Savoie réunisse des bonnes volontés de plus en plus nombreuses et résolues...
Patrice Abeille, Directeur de la Rédaction.

 

De M. Gérard PRUDHOMME, à Vélizy (Île de France):
Il est beau, le "non" français!
Dans la série "autopsie d'un gâchis imbécile" ou "comment s'essuyer les pieds sur 50 ans d'histoire", force est de constater, trois mois après le 29 mai, que le "non" français était bien un banjo sans cordes. Avec 17% d'extrême droite en retard d'une guerre, 17% d'extrême gauche en guerre contre leur retard, 17% de naufrageurs dépressifs toujours prêts à refaire le monde... mais uniquement celui des autres, 4% qui ont confondu constitution et constipation... le compte y est et ça s'appelle une majorité!
Je pense que certains pays d'Europe, qui eux n'ont pas la mémoire courte, ont su apprécier la France à sa juste valeur lors du vote pour l'organisation des Jeux olympiques de 2012, et ça ne fait que commencer... À force de prendre les autres pour des imbéciles pendant la classe, il ne faut pas s'étonner de servir de punching-ball dans la cour de récréation.
Ah, qu'il fut beau le "non" français!!!
G.P.

 

Réponse:
Le secrétariat du journal vous aidera volontiers à entrer en contact avec monsieur MOSSUZ, de Ville-la-Grand (auteur du courrier précédent) si vous promettez l'un et l'autre de ne pas en venir aux mains...
 
 
 
Histoire vécue.
Désormais vous pouvez m'appeler Renée!
Cette septuagénaire savoyenne est prise d'un malaise un dimanche matin de 2005. Atroces douleurs. Son mari appelle le SAMU et passe le téléphone à son épouse. "Madame, je suis docteur(e), dites-moi, vous avez mal combien? —Je n'en peux plus, j'ai horriblement mal..." À force d'explications académiques, il fallut répondre "entre 0 et 10". Pour en finir, pliée en deux, la malade répond "7". Erreur! La "docteur" tranche: pas de SAMU! Si cela vous arrive un jour, répondez: 15!
La famille cherche donc du secours par d'autres moyens, ce qui représente un parcours du combattant un dimanche. Enfin on arrive à contacter un médecin (d'origine étrangère) qui vient à domicile. Une ambulance privée emmène la patiente d'urgence à l'hôpital. Là, pas de lit, manque de personnel, pas de médecin compétent disponible (loi des 35 heures?): il faut patienter dans les couloirs sur un genre de lit-civière à roulettes...
Le lundi soir à 18h30 arrive un cardiologue. Branle-bas de combat: vite une ambulance, contact avec les hôpitaux disposant d'une unité opératoire en cardiologie. Grenoble accepte et prépare la salle d'opérations, mais il y a encore 100 km de route. Le cœur s'arrête...
Arrivée à Grenoble le lundi à 20h30. Avant l'opération, passage au scanner. Opération dans la nuit. Élodie se réveille le mardi à 11 heures, et s'inquiète des taches noires qu'elle voit sur son corps; on lui répond que ce sont les séquelles des massages cardiaques qu'elle a subis pendant son transport.
Le Professeur qui l'a opérée l'appelle "ma petite miraculée". Il lui explique qu'elle a eu une rupture d'anévrisme avec éclatement de l'aorte. Après son calvaire depuis son malaise de dimanche matin jusqu'à son réveil de mardi 11 heures, Élodie revient de loin! Mais elle est "re-née", c'est l'essentiel: ce n'était pas son heure, malgré les négligences monumentales de nos services de soins et autres toubibs en panne.
Albert Weureither, Savoie Ducale.

 

 
 
Quoi de neuf à la Ligue savoisienne?
À la Ligue savoisienne, il se passe toujours quelque chose, et les mois de juillet et d'août sont à peine moins remplis que les autres.
Le secrétariat (0450 09 87 13 et secretariatls@free.fr) renseigne tous les jours ouvrables des personnes dont les questions sont les plus diverses. 46 nouvelles adhésions ont été enregistrées depuis le début de l'année, dont 20 après le référendum. La moyenne d'âge se rajeunit, elle est maintenant à 34 ans. Mais il n'y a que 3 femmes parmi les 20 nouvelles adhésions. La décision d'adhérer est mûrement réfléchie: il ne s'agit plus, comme au début, d'adhésions "sur un coup de tête".
Des adhérents qui s'étaient éloignés depuis 1 à 4 ans viennent reprendre contact et payer une cotisation. Dans les familles la vie est difficile, et en général un seul membre de la famille (au lieu de 3 à six antérieurement) cotise, ce qui n'enlève rien à la motivation des autres mais allège l'effort financier.
Le Savoisien est perçu comme le journal qui porte les idées de la Ligue savoisienne. Trop peu connu encore, il a des lecteurs fidèles et attentifs qui ne cessent d'exprimer leur satisfaction.
Le 28 août, une centaine de membres de la Ligue a participé au Forum de l'été, à Saint-Germain La Chambotte (Savoie Ducale), où chacun(e) a pu s'exprimer sur les grandes questions qui concernent la Savoie de demain. Les participants ont décidé de renouveler l'expérience afin que l'information et les expériences circulent mieux au sein du mouvement.
 
Le 10e. Congrès de la Ligue savoisienne se réunira
à Doussard (province du Genevois) les 5 et 6 novembre 2005.
Il est ouvert au public.
Ne manquez pas cette occasion de vous informer et de débattre!
 
 
 
Yann Pegaz: énormes sensations avec le wakeboard!
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Yann en wakesurf
sur le lac d'Annecy
Trois jeunes de la ligue savoisienne se sont retrouvés au bord du lac d'Annecy, pour évoquer la passion de l'un d'entre eux: Yann Pegaz. "Rider" annécien qui monte et déjà titré à plusieurs reprises, il nous fait découvrir un sport malheureusement peu connu du grand public, mais incontournable sur les lacs de Savoie, le wakeboard.
Entretien.
 
Bonjour Yann. Peux-tu nous présenter en quelques mots ton sport, le wakeboard, ainsi que ton parcours?
— Le wakeboard consiste à glisser sur l'eau (tracté par un bateau) sur une planche, les pieds attachés. C'est une discipline à part dans le monde du ski nautique, puisqu'il n'est pas nécessaire de passer par la pratique préalable du bi-ski ou du monoski. C'est l'équivalent du snowboard, sur l'eau. Le wakeboard doit son succès avant tout à sa facilité d'accès (la pratique du wake est intuitive) et aux figures qu'il permet de réaliser: saltos avant et arrière, 180°, 360°, hélicoptère, 180° sauté, 360° sauté, 540° sauté, 720° sauté, tantrum... En effet, lors des compétitions les participants doivent accomplir le plus de figures techniques dans un espace délimité afin de marquer des points. Les juges décident donc des qualifications en fonction de la qualité des figures (amplitude, intensité, réalisation...), avec un système qui fonctionne comme toutes les compétitions sportives (poules, finales).
J’ai 21 ans, je suis étudiant en sport-études au CESNI (Centre d’Études pour Sportifs de Niveau International, organisme appartenant à l’IUT d’Annecy au sein de l'Université de Savoie) où je vais rentrer en 3e. année d’un DUT Techniques de Commercialisation. Cette formation est très pratique car elle me permet de m’entraîner tout en poursuivant mes études. Eh oui, le wake n’est pas encore en France (ni même chez nous!) un sport sur lequel on peut entièrement fonder son avenir! J’ai commencé le wakeboard à Annecy à l’âge de 11ans, je participe à des compétitions nationales depuis 6 ans et internationales depuis 3 ans, en ayant obtenu les résultats suivants: champion de France junior, puis deux fois vice-champion et une fois troisième, 12e. aux championnats du monde junior et 15e. Open aux championnats d’Europe.
Les Annéciens ont la chance de pouvoir pratiquer ce sport sur le lac, mais le wakeboard est il réellement développé en Savoie et en France d’une manière générale?
— Le wakeboard est un sport assez peu connu car relativement jeune (apparition en Europe fin des années 80); sa pratique n’est pas des plus accessibles à cause de son coût (carburant) et de la structure nécessaire (bateau, plan d’eau, matériel…). Toutefois le Lac d’Annecy est un pôle dynamique en France, et n°1 en Savoie tant du point de vue du nombre de pratiquants que de leur niveau. Les régions d’Ile de France et du Sud comportent aussi de bons sites.
 
La Savoie est donc particulièrement fournie en riders…
— L’annécienne Estelle Tuaz (13 ans) a été la saison dernière championne de France, d’Europe et du Monde dans sa catégorie! De même Julien Audin (30 ans), Laurianne Masson (19 ans) et Cesare Reversade (11 ans) sont dans les meilleurs Français de leur catégorie.
 
Peux-tu nous dire ce qui fait de ce sport une passion pour toi? Pourquoi le recommanderais-tu à ceux qui ne le connaissent pas encore?
— Ce qui m’attire c’est le contact avec l’eau et les nombreuses possibilités de se faire d’énormes sensations avec la prise de risques et les montées d’adrénaline. Et c’est pour ces raisons que je le conseille à tous! En plus débuter et se faire plaisir vont de pair car l’initiation n’est pas difficile: avoir des notions de glisse n'est pas obligatoire pour s’amuser...
Le wakeboard est-il nécessairement un sport pour les jeunes? Quelques conseils pour les débutants?
— Essayez une fois, et après la magie opère... Même les quinquagénaires peuvent s’y essayer! (Il rigole)
Peux-tu nous parler rapidement de l'organisation de ce sport au niveau national?
— Il n’existe pas de véritable fédération de wakeboard mais une commission au sein de la fédération de ski nautique, et nous rencontrons les mêmes problèmes politiques qu’entre le snowboard et le ski alpin: la fédération n’aide pas autant le wake que le ski nautique à se développer malgré son succès en terme de vente de licences. Mais à la longue cette tendance tend à s’inverser grâce au travail d’une poignée de bénévoles motivés.
 
Qu’en est-il au niveau local? La Savoie réussit-elle à tirer son épingle du jeu, en termes d’organisation et d’infrastructures?
— La région Rhône-Alpes est en général très dynamique puisqu’elle organise chaque saison depuis 1999 un Tour de cinq étapes. Grâce à ses superbes lacs, la Savoie dispose de bonnes structures, notamment le Ski Nautique club de Sevrier-Annecy qui est le plus gros club de France en terme de licences.
Où nos lecteurs pourront-ils s'essayer au wakeboard autour du lac d'Annecy? Conseillerais-tu un club en particulier?
— Il y a de nombreuses écoles de ski tout autour du lac, certaines à vocation commerciale et d’autres qui œuvrent plus pour faire évoluer le sport en favorisant la découverte et l’entraînement de compétiteurs. Je m’entraîne au club "Wake The Best" (au restaurant Le Clos Marcel) à Duingt où l’ambiance et le cadre sont au top de même que pour les conditions de ride. Contact: Rico 06 80 98 89 13
Le wakeboard reste un sport assez peu connu en France alors que dans certains pays étrangers, aux États-Unis notamment, ce sport a acquis une grande popularité et s'est largement démocratisé. Comment expliques-tu ce phénomène?
— À mon avis la raison principale est le prix du carburant qui est moins élevé dans d’autres pays, ce qui induit une pratique moins onéreuse. Après, la culture du pays en général favorise ou non ce développement.
Existe-t-il des variantes du wakeboard?
— Oui, il en existe deux: le wakeskate et le wakesurf. Le wakeskate se pratique avec une planche plus petite que pour le wakeboard, et les pieds ne sont pas attachés à la planche, ce qui permet d’autres axes de rotation pour effectuer des figures. Le wakesurf consiste à se placer à quelques mètres (2 à 3 mètres) derrière le bateau sur une planche analogue à un surf d’eau, pour glisser sur le sillage naissant du bateau sans utiliser la traction de la corde: elle ne sert qu’au démarrage, ensuite le rider la lâche pour véritablement surfer indéfiniment.
Quel est selon toi l'avenir du wakeboard en France et en Savoie?
— Le sport se développera encore je pense, mais sans pour autant remplacer le foot (ce qui serait quand même cool!). Je pense aussi que l’émergence du wakeskate et du wakesurf aideront à cette démocratisation du wakeboard.
Merci beaucoup Yann de nous avoir fait partager ta passion pour le wakeboard, pour finir un petit mot?
— Venez nombreux goûter aux sensations de ce sport très ludique... Arvi!
Propos recueillis à Annecy par Adrien Fournier et David Frank en août 2005. L’interview est aussi disponible sur le site des jeunes savoisiens, www.wffis.org
à consulter:
www.wakeboard.asso.fr/ (le site de l'association de wake)
www.ffsn.asso.fr (le site de la fédération de ski nautique)