Pauvre montagnard, qui laissas ta belle,
Chassé par la rude et noire misère,
Tu traversas campagnes, vallons et plaines!
Par tous les temps, tu colportes ta peine.
Égayant les villages, tu apportes la joie aux filles.
Tel un prestidigitateur, tu étales tes marchandises,
Et tu repars vers d'autres horizons,
Avec ton grand et grossier bâton.
Les Alpes sont à toi, c'est ta maison.
Savoyards, Valdôtains, Valaisans,
Colporteurs, sus à vos grands bâtons
Pour poursuivre le grand voyage
Qui dure plusieurs et longues années
Pour en fin de courses, à la chaumière,
Apporter en solde un bien-être mérité
Et entendre le premier cri de ton bébé.
Mais lorsque tu cheminais de par le monde,
Brave colporteur, ignorant le canon qui gronde,
Vers Milan, tu entendis parler de grandes batailles
Pour une soi-disant unité: combien de maux
Qu'offrit ce grand carnage, Magenta, Solferino?
Et quand tu revins, pour rentrer dans ta Petite Patrie,
Toujours par le même chemin, par nos Alpes
Du Val d'Aoste, fidèle, tu suivais la même TRACE.
Mais à l'entrée de la Savoie tu fus tout étonné
Qu'entre temps, hélas, on avait fait un TRACÉ
Que l'on nomma Frontière: nous voici divisés
Et étrangers au nom de l'italique UNITÉ.
Mais les clochers et les châteaux du Val d'Aoste
Comme autrefois regardent la sur Savoie,
Et d'elle nous viennent les souffles neigeux
Qui nous rappellent que nous vécûmes huit cents ans avec eux
Et qu'en dépit des frontières,
Valdôtains et Savoyards sont frères.
Guy de Saint-Pierre.
En hommage à Bernard Favre pour son film La Trace.